Japon : la révolution tranquille des NEET
"Not in Education, Employment, or Training – ni étudiant, ni employé, ni stagiaire", quelle est cette génération des NEET qui, sans bruit, se détache des valeurs habituellement véhiculées par la culture de leur pays?
Dans un article intitulé « Revolution of the NEET (lol) » [jap], Sayuri Tamaki passe en revue la génération des NEET (Not in Education, Employment, or Training – ni étudiant, ni employé, ni stagiaire) et la façon dont ils changent le Japon.
Remarque : l’article a été traduit dans son intégralité avec la permission du blogueur. Les liens et remarques entre parenthèses ont été ajoutés par Tomomi Sasaki pour référence.
L’espoir grâce aux NEET, pas la guerre – Une révolution tranquille (lol)
“Il est souvent dit que la structure de ce pays exploite les jeunes générations. Pourtant, les jeunes restent extrêmement calmes, peu enclins à exprimer leur colère dans la rue. Repensez-y, cependant, est-ce vraiment le cas ?
La jeunesse japonaise est peut-être plus rusée et gênante que celle qui fait du grabuge. Depuis peu, je trouve que les personnes identifiées comme NEET ont pris part à une révolution tranquille à travers le pays.
Notez que le mot NEET utilisé dans cet article ne se réfère pas seulement aux jeunes qui ne sont pas étudiants, employés ou stagiaires. J’utilise plutôt une définition plus large, qui inclut une population qui a choisi de ne pas trouver d’emploi stable.
La coqueluche du moment sur la Toile est pha-san [jap]. Le connaissez-vous ? C’est un ancien étudiant de mon université [Université de Kyoto], et je l’ai suivi de près lorsqu’il était celui qui menait des « activités artistiques dignes de la Faculté des Études Humaines Intégrées » [en].
« Franchement, je ne veux pas travailler ! » déclare pha-san.
Une femme qui dit « j’espère devenir femme au foyer » échappera probablement aux critiques sociales. Cependant, lui est un homme issu de la société contemporaine, une société où la valeur moderne du travail, « celui qui ne travaillera pas ne mangera pas », reste forte et ancrée dans les consciences.
Et pourtant, pha-san fait cette déclaration au grand jour. Serait-il le Daisuke des temps modernes ?”
Ceci est une référence à Daisuke Nagase, le protagoniste du roman de Natsume Soseki intitulé Et puis [en] (Sorekara). Une critique de ce roman par Jessica Schneider [en] décrit le personnage de la façon suivante : « (…) un jeune homme qui a passé sa vie à profiter des autres. Il a reçu une éducation de première qualité, c’est un érudit, et il a obtenu des privilèges dont peu peuvent se targuer. Toutefois, il est mécontent car il manque d’un but et de motivation, mais il sent aussi incompris de ses proches, dont son père, qui l’aide financièrement. »
“J’imagine que de nombreuses personnes haïssent pha-san. La raison [de son comportement] est que le système éducatif japonais a greffé dans chaque individu un système d’exploitation (SE) qui développe chez les futurs travailleurs des capacités pour s’intégrer dans la société industrielle. Avec cette injection de SE, l’opinion publique verra simplement ces jeunes qui jurent avec fierté « je ne veux pas travailler ! » comme des produits défectueux. D’ailleurs, accepter le mode de vie de pha-san comporte le risque de devoir renier la façon dont on a vécu sa propre vie. Réagir négativement en s’emportant est également très humain sur certains aspects.
Honnêtement, une partie de moi déteste pha-san avec les tripes. Vous devez gardez en tête que j’ai aussi reçu une dose « de système d’exploitation spécial de développement des futurs travailleurs dociles ». Cependant, penser avec ma tête m’a éclairé sur la nécessité d’échanger ce SE avec autre chose. Je suis actuellement en phase de réhabilitation. Mais assez de bêtises sur moi-même !
Ensuite, vous allez demander qu’elle sera le système d’exploitation de la prochaine génération. Je pense que l’on va assister à la résurrection du point de vue de Huizinga sur les être humains. En d’autres termes, un système où l’on développe la capacité de vivre une vie épanouie dans la « société de l’exhibition » émergente qui s’articule autour de l’introspection. Les NEET de notre pays pourraient être des précurseurs de la prochaine génération.”
« La société d’exhibition » et la « capacité d’exhibition » sont des concepts que ce blogueur a définis et étudiés dans des articles précédents [jap]. Ils renvoient à la capacité d’autoproduction et de création d’identités en ligne/hors connexion, ainsi qu’à une société qui exige des individus cette capacité.
“J’aimerais vous présenter les différents filets de sécurités de l’élite NEET, dont pha-san fait partie. Ce sont des filets de sécurité créés par leurs soins qui ne sont pas spécifiques au Japon.
Le filet de sécurité des médias sociaux
L’élite NEET a une capacité d’analyse de l’information et une capacité d’exhibition très élevées. Ils sont capables d’exercer une influence sur Internet en établissant des liens avec divers environnements urbains. Ces liens connectent les individus dotés d’une capacité d’exhibition avec d’autres individus qui leur sont semblables, et permettent la réalisation d’activités communes dans la vie réelle. Sur son blog, pha-san déclare que « Internet va sauver les personnes sans emploi ». Ce type de déclarations, pha-san, avec son exceptionnelle capacité d’exhibition, peut se permettre de les faire.
A propos, des personnes donnent à pha-san des choses par Internet. C’est un moyen respectueux de l’environnement de connecter deux individus sans passer par un magasin d’objets d’occasion : quelqu’un qui veut se débarrasser d’un bien et quelqu’un qui veut l’acquérir. Vous pouvez en savoir plus sur le sujet dans un article précédent sur les liens sur Internet [en japonais].
Le filet de sécurité de la colocation
La colocation est une nouvelle tendance chez les jeunes générations. En vivant avec plusieurs personnes, il est possible de réduire les dépenses fixes. De plus, savoir que ses amis proches sont toujours à proximité, surtout en période de solitude, c’est un moyen fantastique de se stabiliser.
Il existe même des exemples de colocation qui sont parvenues à se rentabiliser en organisant des séminaires, comme le « logement en style médias » à Tabata, Tokyo.
Les NEET, les oisifs cultivés (高等遊民 “koto yumin”)
Bien qu’ils soient sans le sou, les NEET disposent de beaucoup de temps pour eux. Certains d’entre eux choisissent de passer du temps à voyager, à l’introspection, ou à des activités créatives comme le blogging, l’écriture, et la réalisation de films. Alors qu’ils sont parfois sermonnés par les professionnels, on ne doit pas oublier que des NEET ont probablement donné inconsciemment naissance à des activités créatives lucratives comme celles mentionnées plus haut.
Nous sommes dans une ère où des spécialistes de stratégie économique comme Daniel Pink [en] et Kenichi Omae [en] prêchent l’importance du jeu. Bien sûr, il n’y a rien de mal dans le fait que les NEET ne produisent rien d’utile à la société !
Les NEET sont respectueux de l’environnement
Les NEET ne tiennent pas de propos exaspérant tels que « notre espoir est de faire la guerre ! » ou « faites de moi un employé à temps complet ! ». Ils ont créé de nombreux modes de vie sur la base d’un salaire mensuel compris entre 50.000 et 100.000 yens [entre 450 et 1.100 euros. Le salaire mensuel d’un premier emploi est d’environ 2.500 dollars]. Ils ne s’intéressent pas au consumérisme.
Les tribus NEET-compatibles
Certains pourraient faire remarquer que je parle uniquement d’un petit nombre de NEET d’élite. Mais ces NEET, tels que définis initialement au Royaume-Uni, ne possèdent pas de hauts niveaux de compétences en informatique ou une capacité d’exhibition élevée, compétences en communication qui sont requises pour vivre en colocation, ou pour avoir la formation universitaire de pha-san. Ils auraient absolument raison.
Cependant, si je peux formuler ma pensée sans craindre une mauvaise interprétation… Je pense que les individus qui abandonnent leurs études et qui se définissent comme NEET selon la définition britannique ont le potentiel de devenir comme les élites NEET que j’ai décrites dans cet article.
Peut-être que soutenir les NEET n’est pas simplement les aider à trouver un emploi mais accepter les modes de vie de personnes comme pha-san. Qu’en pensez-vous ?
Je me suis concentré sur les élites NEET mais cette « tribu » est plus que compatible avec d’autres : ceux qui vont à l’étranger pour trouver un emploi, qui travaillent par intermittences au Japon pour se la couler douce dans d’autres pays, ou créent leur propre emploi. Toutes ces tribus qui ont changé les codes des valeurs préexistantes.
Finalement, comme Internet connecte ces tribus entre elles, il est possible que nous assistions aux prémices d’une révolution tranquille.”
Liens utiles (en japonais) :
- Le blog de Sayuri Tamaki : The Diary of Woman. MG
- Le projet de colocation de Tamaki : LSCH (Life Style Creator’s House)
- Le blog de pha-san : pha’s NEET Diary
- Le projet de colocation de pha-san : Geekhouse Project
Note du traducteur : une vidéo sur le phénomène des NEET, diffusée sur la chaine ARTE :
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Billet initialement publié sur Global Voices
Image CC Flickr brian glanz
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