Mainstream: une critique, un extrait, une carte et la conclusion

Le 11 mai 2010

Dans "Mainstream", Frédéric Martel enquête sur la culture mondialisée. L'œuvre est intéressante mais paraît déjà un peu datée, notamment en ce qui concerne le numérique.

[Billet publié initialement sur Bibliobsession, le blog de Silvère Mercier, bibliothécaire]

Intéressant livre que j’ai eu la chance de recevoir en Service de Presse. (Merci !). Mainstream, Enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde de Frédéric Martel (animateur de l’émission Masse critique sur France Culture) est une vaste enquête sur la culture mondialisée, constituée d’une série d’entretiens commentés et remis en contexte. L’ensemble est à la première personne ce qui est un choix peu habituel sur un tel sujet, mais qui a le mérite de rendre la lecture moins fastidieuse qu’une analyse géopolitique des industries créatives… (car tel est bien le sujet de ce livre).

Attention, amis de la culture avec un grand C passez votre chemin (ou pas) on ne parle pas ici d’Å“uvres ni d’artistes, mais bien de produits, de stratégies, de marketing, de luttes d’influence entre multinationales pour occuper notre temps de cerveau ! Ces préalables posés, il est intéressant je trouve de prendre la mesure de ces phénomènes massifs, même si nous sommes ici du côté de l’offre ce qui comporte des limites certaines au projet, exposées dans ce résumé du livre de J-P Warnier : La mondialisation de la Culture (2003) :

J.-P. Warnier considère que les théories de la convergence culturelle se sont révélées fausses. Toutes les visions macrosociologiques sont victimes d’un contresens méthodologique : leur objet d’étude étant la production de biens culturels au niveau mondial, elles privilégient l’étude de l’offre. Or, si l’analyse se concentre sur la réception au niveau local de ces biens, on constate alors que cette offre mondiale est « décodée, recodée, domestiquée et réappropriée ». L’auteur critique ainsi toutes les théories globalisantes, qu’elles soient culturalistes, comme celle d’Huntington (qui privilégie les revendications culturelles comme facteur explicatif des conflits), ou politiques, comme celle de Ramonet (dont la géopolitique mondiale expliquerait les phénomènes culturels). Il faut privilégier une approche anthropologique, qui permet une lecture du fait culturel local : l’auteur se rattache ouvertement à la thèse de J.-F. Bayart selon laquelle la dynamique sociale et les conflits qui en découlent « mobilisent et structurent les identifications culturelles » en fonction des intérêts des groupes sociaux. Finalement, l’américanisation est, pour l’auteur, un faux débat : la modernité aurait plutôt à faire face à « l’éclatement des référents culturels ». La tradition locale, le terroir sont encore des leviers puissants de différenciation culturelle.

Quoi qu’il en soit, on comprendra mieux par exemple la vivacité de la lutte de la MPAA contre le piratage aux USA en considérant la place du copyright dans l’écosystème économique des industries créatives! Pour autant, il me semble que ce livre est bien trop léger sur les impacts du numérique sur les stratégies des industries créatives.

Et pour cause, les entretiens ont déjà quelques années et le secteur évolue à vitesse grand V, l’ensemble donne l’impression d’une photographie déjà jaunie. On peut se demander par exemple si l’enjeu n’est pas plus aujourd’hui dans le contrôle des data centers que dans le nombre de multiplexes implantés sur un territoire…

Malgré tout, on apprendra comment Murdoch s’est cassé les dents en Chine dans les années 90 et comment l’Inde représente le nouvel Eldorado pour les industries créatives Américaines. Très intéressant aussi de voir comment les pays émergents essaient de construire leur propres industries créatives face aux Américains.

On se rend compte que l’impérialisme US est bel et bien à relativiser (en même temps on le savait déjà…) ! Les USA sont en effet bien moins idéologiques qu’on ne le pense, à voir leur capacité d’adaptation à des marchés étrangers, on se rend vite compte qu’il s’agit bien plus de capitalisme en bonne et due forme qu’une volonté d’imposer une domination culturelle (même si l’un est étroitement lié à l’autre).

Voilà en passant, un instantané des industries créatives dans la Chine d’aujourd’hui qui m’a intéressé, extrait :

“En discutant avec un marchand de CD et de DVD à Shanghai, j’ai compris pourquoi les DVD de contrefaçon ressemblaient tellement aux véritables DVD : “Ne soyez pas stupide, m’a dit le vendeur (sous condition d’anonymat, et traduit par mon interprète). Ce sont bien sûr les mêmes usines qui fabriquent les DVD légaux et ceux qui sont illégaux. c’est exactement comme pour les stylos Montblanc et les montres Rolex.” Et dans le magasin, il m’a montré les DVD “vrais” mêlés aux “faux” – et vice versa. Les Américains, eux aussi, ont compris la ruse et ils ont trouvé cela moins drôle que moi. Ils ont même constaté, en se livrant à un petit exercice d’espionnage, en modifiant certaines images d’un film test, que les longs métrages qu’ils soumettaient à la censure chinoise se retrouvaient au marché noir même lorsqu’ils étaient refusés – détournement ahurissant qui en dit long sur l’état de la corruption dans la Chine communiste. Du coup ils ont attaqué la Chine devant l’OMC pour atteinte aux lois internationales du copyright et pour dénoncer son laisser-faire en matière de piratage sauvage. (Plusieurs de mes interlocuteurs font également l’hypothèse que les Américains diffusent délibérément leus films sur le marché noir pour habituer les Chinois aux blockbusters qu’ils ne peuvent pas diffuser légalement.) “On ne peut pas arrêter le piratage, relativise cependant, à Hong Kong, Gary Chan Chi Kwong, le patron d’East Asia Media, l’une des plus importantes maison de disque en Asie. C’est la même usine qui fabrique les CD légaux et les autres. On sait ça. On garde un Å“il ouvert et un Å“il fermé : on essaie de lutter mais on laisse faire aussi, car c’est absolument impossible d’arrêter la contrefaçon.”

Ce passage me semble révélateur des ambiguïtés de la lutte contre le piratage, entre sauvegarde d’un modèle économique inadapté, nouveaux usages massifs, mais aussi (et on l’oublie souvent dans les discours sur le piratage) enjeux géopolitiques de conquête de nouveaux marchés de la culture mondialisée.

Pour conclure, un livre intéressant, mais qui sera vite dépassé… Je vous propose cette petite carte heuristique faite par mes soins à partir de la conclusion de ce livre, soyez indulgents, il s’agissait d’être vraiment synthétique et de fixer quelques idées !

Enfin, la bonne nouvelle, c’est que vous pouvez lire en intégralité ici la conclusion du livre:

Illustration CC Flickr par Express Monorail

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