Sur la route des hackers évangélistes

Le 1 septembre 2011

Pour en finir avec les idées reçues et les vieux mensonges, pour que non-initiés découvrent la culture des hackers et les pratiques du Do It Yourself (fais-le toi-même), des véhicules équipés se déplacent à leur rencontre.

Le hackbus de Johannes Grenzfurthner et David Dempsey au festival Mozilla Drumbeat à Barcelone, l'automne dernier.

Certains pensent que les idées des hackers, ces bidouilleurs qui aiment détourner les objets de leur destination initiale, sont réservées à une petite élite éduquée ? Le hackbus, un véhicule spécialement équipé, répond à ce reproche en allant à la rencontre des gens. Pour Johannes Grenzfurthner, un artiste viennois co-fondateur du collectif Monochrom qui fédère les initiatives de ce type sur la plate-forme hackbus.info, c’est un retour aux sources subversives du hacking. Revenant sur un quart de siècle d’existence des hackerspaces, ces espaces physiques où se réunissent les hackers, il estime que le mouvement s’est embourgeoisé et replié sur lui-même. Dans cette perspective, les hackbus constituent un contre-poison :

Les hackbus (hacklabs mobiles, ou hack véhicules) sont une porte d’entrée facile pour apporter la culture du hacking aux gens », poursuit-il. « Ce sont des unités mobiles d’apprentissage et d’enseignement, qui apportent la culture du hack au peuple qui, sinon, ne serait peut-être pas conscient des possibilités mises à leur disposition. Prenons du bon temps ! Et allons dans les villages ! C’est important ! Nous reprenons une tradition ancienne : apporter l’autonomisation (self-empowerment, ndlr) aux gens via une approche nomade. Ces unités pourraient et devraient être partout.

Les espaces publics sont un sujet politique qu’il faut se réapproprier

Le projet s’inscrit dans une démarche de réappropriation des espaces publics, considérés comme des textes à réécrire : « Les espaces publics sont un sujet politique. Ils fournissent des moyens de communication inévitables à travers lesquels nous sommes en rapport avec les textes, les institutions, et les gens. En tant que tels, il ne suffit pas d’en parler théoriquement, ils doivent aussi être appropriés de façon pratique. » Il entend le mot hacking dans un sens très large :

Le hacking est un état d’esprit. L’usage créatif de la technologie. Mais nous allons si loin que toute forme d’expérimentation sociétale pourrait être qualifiée de hacking. Hacking social, hacking de contexte.

Avec son camarade David Dempsey, ils promènent leur petite camionnette aux tags colorés de festival en école pour organiser des ateliers et expliquer la culture hacker et le Do-It-Yourself (DIY, « fais-le toi-même ») qui leur est si cher. Soudure, Arduino (plate-forme open source pour programmer des objets), production radio, enfants et adultes participent à cette école hackée, du « edu-hacking » comme le dit Johannes :

Les gens sont excités par notre projet. Ils ne savent pas qu’ils se font hacker eux-mêmes.

Cette démarche leur a valu le soutien de la fondation Mozilla, qui finance des projets s’inscrivant dans la philosophie du navigateur de recherche : ouverture, innovation, partage… Ils ont ainsi pu prendre part au Drumbeat Festival à Barcelona l’automne dernier.

Petit hacker deviendra grand. Des enfants avec des objets conçus dans un Fab Lab truck lors du USA Science and Engineering Festival à Washington, DC.

Des initiatives similaires existent, parfois antérieures au hackbus viennois, même si elles ne portent pas forcément ce nom. Comme le rappelle Moritz, qui partira en décembre pour six mois, « ils s’appellent fablab (fabrication laboratory) de nos jours, en raison de la connotation péjorative du terme hacker ». Il fait là allusion à la confusion trop courante entre hacker et cracker ou black hat, c’est-à-dire des hackers avec de mauvaises intentions. En Hollande, Jaap Vermaas a ainsi lancé son FabLab Truck [en, nl], en juin 2010. Le premier fablab mobile remonte à 2007, à l’initiative du MIT, le célèbre Massachusetts Institute of Technology, l’université américaine où sont nés les fablabs. Stricto sensu, les fablabs sont de véritables mini-usines où l’on produit à la demande des objet à l’aide de machines-outils assistées par ordinateur. L’état d’esprit y est proche des hackerspaces : le DIY est roi !

Écoles, événements et entreprises sont sur le chemin du Hollandais roulant. Et le concept rencontre le succès : au début, il partageait une découpeuse laser avec un autre fablab, mais ils ont eu un tel succès qu’ils ont dû avoir la leur. « Sur les projets éducatifs, nous avons de quoi avoir à terme un emploi à part entière », se réjouit le jeune homme, qui délaisse du coup de plus en plus son entreprise d’informatique.

Aux États-Unis, Frantisek Algoldor Apfelbeck, un Tchèque qui a un pied au Noisebridge, un célèbre hackerspace de San Francisco, y coordonne le projet Hack Mobile. Il est plus particulièrement spécialisé dans le hack de nourriture : entendre par là un retour à une alimentation plus saine, faite-maison, y compris la bière [en]. La 1664 et autre Kro n’ont qu’à bien se tenir.

Rencontrer aussi ces hackers qui s’ignorent

Il y a aussi le cas de hackers qui vont à la rencontre de hackers qui s’ignorent, que ce soit volontaire ou non. C’est ce que fait Alexander Heidenreich depuis longtemps dans les anciennes républiques soviétiques, par tous les modes de transport, avion, voiture, camionnette. Cet Allemand basé dans les hackerspaces de Leipzig et de Dresde aménage un camion pour entreprendre dans cette optique une longue tournée.

« D’une, ils ne sont tout simplement pas au courant de l’existence du mouvement hacker, même si certains font la même chose que nous, ils n’ont jamais eu de contacts avec quelqu’un en dehors de leur propre domaine, explique-t-il. De plus, certains pays sont des États policiers et les hackers ne sont pas très appréciés. Ils ont un peu peur d’entrer en contact avec d’autres hackers car ils savent que la répression est présente et il n’est pas courant d’envoyer un simple mail à quelqu’un que tu ne connais pas et en qui tu ne sais pas si tu peux faire confiance ou pas. C’est à nous de leur parler de cette communauté. Mais, en général, il existe dans ces pays une scène bien organisée qui sait ce qu’elle fait, il faut juste entrer en contact avec elle. »

Par-delà ce public déjà captif, l’échange tout court fait aussi bien sûr partie des intentions.
« Inspirer les gens, montrer ce qu’est la culture hacker, nous le faisons au quotidien quand nous sommes en voyage, poursuit Alexander. Nous utiliserons aussi le camion pour apporter la culture hacker dans zones sous-développées, mais elles ne sont pas situées à l’Est mais en Europe centrale. » Et de reprendre l’idée de Johannes selon laquelle les gens peuvent se faire hacker d’un coup de fer à souder :

Qui est hacker ? En fait, tout le monde peut être curieux, essayez les choses et vous devenez un hacker.

Encore quelques coups de balais et tours de vis, et l'intérieur de cet antique IFA W50 sera très cosy.

Le véhicule parfait

L’aménagement de tels engins occupe bien l’esprit de leur propriétaire. C’est qu’il faut embarquer à bord de quoi faire les ateliers mais aussi vivre : ordinateurs, fers à souder, matériel électronique, outils, etc. Pas de véhicule flambant neuf, mais plutôt une camionnette bricolée et des bombes de peinture pour enjoliver le tout.

Alexander Heidenreich et ses amis ont opté après mûre réflexion pour un IFA W50 qui a connu la Guerre froide. « C’était le cheval de traie à usage économique et militaire dans l’ancienne Allemagne de l’Est et d’autres pays communistes », détaillait-il dans un message de présentation de son projet. Peu gourmand, solide comme un roc avec ses quatre roues motrices qui ont arpenté davantage des pistes que les trottoirs du XVIème arrondissement, bidouillable à peu de frais, contrairement à ses homologues récents produits par Porsche ou Mercedes, c’est l’engin parfait pour les emmener jusqu’au Kazakhstan.

Plus imposant, le FabLab Truck de Jaap embarque une découpeuse laser, une imprimante 3D, une commande numérique par calculateur, car il faut justifier son titre de « fabrication numérique sur roues ». Tout ce matériel ne doit pas faire oublier que « le bien le plus précieux, c’est les gens et l’accès à ces gens », soulignait [vidéo, en] David Dempsey lors du Drumbeat Festival.

Si ces projets visent à apporter au plus grand nombre la culture hacker, ils sont aussi l’occasion pour ceux qui les portent de partir à la découverte de la communauté hacker, qui s’étend sur tous les continents, forte de 500 lieux, selon le site hackerspaces.org. Décidément, l’image du hacker casanier scotché derrière son écran a du bug dans les circuits.

Images CC Flickr PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification Samuel Huron (hackbus) PaternitéPas d'utilisation commerciale M.V. Jantzen (fab lab) et © Alexander Heidenreich (IFA W50).

Laisser un commentaire

Derniers articles publiés