[ITW] Golo: “La réaction citoyenne des Egyptiens”

Le 6 mai 2011

Ils sont sans doute parmi les plus égyptiens des Français. Installés dans un village au bord du Nil depuis presque 20 ans, Dibou et Golo racontent la chronique de Gournah, reflet d'une Egypte qui a basculé cet hiver. Entretien.

De passage à Paris pour la sortie de leur album “Chroniques de la Nécropole” (éditions Futuropolis), Golo et Dibou livrent leur vision de l’Égypte d’aujourd’hui. Une Égypte à la fois libérée et anxieuse, une Égypte qui a “retrouvé son sens de l’humour”, précise le dessinateur.

Dans cette histoire, le couple retrace la chronique d’un véritable Disneyland pharaonique au bord du Nil. Un projet qui, par sa démesure, provoque l’expulsion des paysans du village de Gournah, chassés par un pouvoir concevant le tourisme comme une industrie de masse. Dans ces pages, il y a beaucoup d’humour et d’autodérision. Pas mal de noirceur et un soupçon d’espoir. L’occasion de faire le point sur les vertus de la bande dessinée appliquée à un sujet éminemment politique.

Vous êtes toujours installés à Gournah?

Golo : Oui, on habite au village, à 700 kms au sud du Caire. Face à la colline qui a été rasée, il reste quelques maisons de l’autre côté de la route. C’est la dernière tranche qui doit être détruite. C’est une zone des antiquités, où les autorités veulent racheter les terres cultivées par les paysans depuis des siècles. Toute la partie agricole du village va donc passer dans la zone du « Disney pharaonique ». C’est le « plus grand musée à ciel ouvert du monde » comme ils disent.

Dibou : Et qui dit musée, dit « pas d’habitant ».

Avant de parler de Gournah, vous vous attendiez à cette Révolution égyptienne?

Dibou : Je l’ai découvert sur Facebook, avec des vidéos montrant des dizaines de milliers de manifestants.

Golo : Le premier jour où les gens ont manifesté, c’était officiellement la fête de la police ! La réaction des autorités a été d’une brutalité inimaginable et ça a provoqué la Révolte. Il y avait alors dans l’air l’exemple de la Tunisie qui a montré aux gens que « oui, c’est possible ». Et puis, après avoir fait le premier pas, la première manif, les gens ne pouvaient plus reculer.

Dans votre village, comment s’est déroulée la Révolution ?

Golo : Dès les premiers jours, toutes les communications ont été coupées : plus d’internet, plus de téléphone portable, plus de trains, plus d’avions… Tout cela pour éviter la contagion de la révolte. Il restait juste la télé, alimentée par les antennes paraboliques. Nous n’avons pas la télé, on allait chez les voisins où les gens regardaient la Révolution. Pendant toute cette période, la police a disparu ! Dans toute l’Egypte, on ne voyait plus un uniforme. Ils étaient tous en civil ou alors c’était les truands servant d’agent provocateur.

La population s’est donc organisée spontanément dans les quartiers. Ils assuraient la sécurité, la circulation… dans les grandes villes comme au village.

Et aujourd’hui, la police est revenue ?

Dibou : Oui, mais les policiers savent que la population n’a plus peur. Les gens ne sont plus rackettés par les policiers dans la rue. Ni les chauffeurs de bus, ni les petits vendeurs de poupée… Cela a rendu aux gens leur fierté et l’espoir.

Golo : Au quotidien, il y a encore beaucoup d’inquiétude, liée à l’incertitude de la situation. Les gens attendent les élections. Et puis, il a y a des vols et de la provocation de la part de ceux qui étaient au pouvoir.

Peut-on craindre un retour des Frères musulmans ?

Dibou : Les Frères musulmans ont complètement raté le coche. Ils n’ont rien vu venir et heureusement… De toute façon, les Egyptiens n’en veulent pas.

Golo : Au sein des Frères musulmans, les gens ne sont pas d’accord entre eux. Il y a eu des élections à l’université où les FM ont nettement reculé. Les Français sont obsédés par cette question, pas les Égyptiens.

La BD est-elle en train de vivre une phase de retour vers les sujets politiques, comme vous le faites dans ces Chroniques de la nécropole ?

Golo : J’ai toujours pensé que la BD est un moyen d’expression à part entière. On peut être historique, personnel, onirique… Je ne connais pas de limite à la BD.

Dibou : Cela se veut un témoignage de ce qui a été et qui n’est plus. Sans cet album, il n’y aurait plus de traces. Il y avait aussi toutes les photos amassées pendant des années sur Gournah. L’idée de la BD avec les photos s’est imposée naturellement.

Golo : Autre exemple, lorsque le village a été rasé par des bulldozers, j’ai pris des photos. Mais pour moi, c’était trop déchirant. Je ne pouvais pas dessiner ces scènes-là.

Est-ce que la population a été consultée sur ce projet de relocalisation du village ?

Golo : Non. Ces villageois sont niés dans leur existence. Pour le pouvoir, il fallait chasser l’image de l’habitat. Le touriste ne doit pas voir le pauvre paysan égyptien. Tout doit disparaître. Seules doivent rester les pierres. L’archéologie a complètement rebâti Hatshepsout en reconstituant les lieux.

Les archéologues se sont-ils exprimés sur ce projet ?

Golo : Certains s’en fichaient complètement. Mais ils sont coincés, car pour les fouilles, ils ont besoin d’autorisation de la part du service des antiquités. Le Français Christian Blanc s’est exprimé dans Le Monde, en raison des rapports de proximité qu’il entretient avec ses ouvriers. Les ouvriers des archéologues sont tous des gens du coin.

Pourquoi êtes-vous aussi ironique, voire caustique… y compris sur vous-mêmes ?

Dibou : En Occident, on est obsédé par le boulot. Lorsque je discutais avec mes amis égyptiens, ils finissaient par me dire : « tu nous parles de ton travail tout le temps, mais tu ne dis rien sur toi ». Donc, je suis venu à Gournah pour m’arrêter sur moi-même, même si cela n’a pas toujours été évident : on est dans une vie trépidante et tout à coup, on peut être saisi par l’ennui. Me vider la tête de mes clients [Dibou était consultante en marketing, Ndlr], ça a été plus compliqué que le problème de l’argent. Le plus dur a été de reconnaître mes envies et puis on a une vie très monacale.

Avec la Révolution, vous pensez que le tourisme pourrait aussi changer… ?

Golo : Jusqu’à présent, les gens sur place n’ont que les miettes des miettes de tout ce business. Si ça pouvait les aider à vivre correctement, ça serait bien. Une bonne partie de la population a envie que ça change.

Dibou : Pas de mal de gens ont été mis en taule. Le gouverneur de Louxor, par exemple, a été jeté en prison. Il va y avoir des jugements pour corruption.

Golo : Dans la Révolution égyptienne, ce qui m’a marqué, c’est à quel point les gens ont eu une réaction citoyenne après des années d’oppression. Sur tous les aspects : la sécurité, la circulation, l’organisation… ça donne de l’espoir ! Les gens prennent conscience qu’ils peuvent changer les choses, que ce n’est pas la volonté venue d’en haut, de Dieu ou d’autres ! La façon dont ils ont utilisé Internet, ils ont été merveilleux d’invention.

Le prochain album sera celui de l’espoir…

Golo : J’espère qu’il sera positif. Mais les jeunes du village relocalisé dans le désert m’ont redonné espoir. Ils ont rebaptisé la place du village « place Tahrir » !

Ils pourront lire votre BD ?

Dibou : Oui, nous allons en apporter des exemplaires en rentrant. Jusqu’à maintenant, tous les albums de Golo ont été censurés pour on ne sait quelle raison…

Golo : Cela me rappelle une anecdote. Lorsque j’ai adapté le livre « Mendiants et orgueilleux » en BD, Albert Cossery m’avait dit : « enfin, les illettrés vont pouvoir me lire » !


Photos : Ophelia Noor en CC pour OWNI /-)

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