Cet autre vent qui souffle sur Bahreïn

Le 21 février 2011

Après la Tunisie et l'Egypte, le Bahreïn connaîtra-t-il une révolution? Analyse en profondeur des troubles qui secouent ce riche petit royaume du Golfe persique dirigé depuis deux siècle par la dynastie al-Khalifa.

Ceux d’entre nous qui essaient désespérément de se tenir au courant des événements au Moyen-Orient – et nous sommes nombreux – ont probablement compris que Bahreïn n’était pas l’Egypte même si les manifestants de la place de la Perle aimeraient bien la transformer en place Tahrir bahreïnie. La nuit dernière (ndrl : le 16 février), l’armée a sorti ses tanks et a fait appel à la police anti-émeute pour chasser les manifestants, faisant au moins six morts et bien d’autres blessés ou disparus.

Les manifestants se seraient dirigés à l’hôpital Salmaniya où les morts et les blessés avait été emmenés.

Le Ministre des Affaires Etrangères a déclaré que cette “intervention de la police” était nécessaire pour “sortir Bahreïn du bord du gouffre communautaire”. Pourtant, dans des vidéos comme celle-ci, “l’intervention de la police” me semble difficile à différencier d’une charge d’infanterie… Et comme Toby Jones de Jadaliyya l’écrit, l’assaut de la nuit dernière n’était qu’une intensification de la violente réaction des premières journées de manifestation :

Les services de sécurité bahreïnis ont tué deux personnes dans les attaques de lundi et mardi, en tirant à balles réelles contre des manifestants sans armes. Les nouvelles qui parviennent de Manama tôt mardi matin disent que la situation se détériore. Les forces de sécurité ont assailli les centaines de Bahreïnis qui avaient décidé de camper à cet endroit et certains se sont mis à l’appeler “la place des Martyrs”. Le raid de nuit était pervers, une embuscade sortie de l’ombre au petit matin sur des victimes sans méfiance, notamment des enfants. Bien que le roi ait présenté ses condoléances pour les morts de lundi et mardi, il est maintenant clair avec l’attaque sauvage de jeudi qu’il a choisi le chemin de la confrontation lâche et violente.

L’analogie est tentante. Dans The Independent, Robert Fisk décrit la violence comme la reproduction d’un modèle qui est apparu en Tunisie et en Egypte, expliquant : “la police de la sécurité de l’Etat, clé de voûte de la puissance des autocrates du monde arabe, a utilisé les mêmes tactiques vaines pour écraser sauvagement les manifestants à Bahreïn, Alger et Sanaa, de la même façon que les dictateurs tunisien et égyptien l’avaient tout aussi vainement utilisé contre leurs propres manifestants pour la démocratie”. Cette affirmation lui permet de finir sur une note optimiste :

Moubarak pensait vraiment le jeudi soir que son peuple souffrirait encore cinq mois sous son règne. Tout comme Ben Ali semble-t-il. Tout cela prouve bien que les dictateurs du Moyen-Orient sont infiniment plus stupides, vicieux, vains, arrogants, et ridicules que leur propre peuple ne l’avait réalisé.

Mais je n’en suis pas certain. Comme Jones le montre, par exemple, il est assez peu probable que l’armée se range du côté des manifestants :

Alors que les armées tunisienne et égyptienne se sont avérées être les ultimes médiateurs des révolutions, il n’y a aucune armée pour sauver Bahreïn. Les moyens violents sont sous l’entier contrôle de l’Etat et des forces de sécurité. Ceux-ci sont profondément redevables à la famille royale et ne sont pas seulement désireux, mais aussi enthousiastes, d’obéir à ses ordres. Alors que l’armée égyptienne était considérée par de nombreux Egyptiens comme un reflet de la société, l’appareil bahreïni de sécurité intérieure est composé presque exclusivement de mercenaires étrangers auxquels ils font appel justement parce qu’ils n’ont aucun lien avec les habitants. Il n’y a aucun équivalent aux forces de sécurité intérieure, aucun centre de pouvoir qui puisse le défier ou défier ses chefs. Ils n’ont aucun rivaux. Les Bahreïnis vont devoir supporter ce que la police peut infliger de pire pour l’emporter.

Pour comprendre pourquoi c’est ainsi, quelques notions d’histoire sont utiles. L’Egypte et Bahreïn sont différents en presque tout, mais une différence particulièrement significative est la trajectoire historique de chaque Etat. Alors que Moubarak et Sadat ont régné sur l’Egypte bâtie par Nasser après la révolution de 1952 – un Etat unifié avec un soutien populaire, large et profond – le régime de Bahreïn, aujourd’hui assiégé, a toujours été d’une nature très différente. Il est apparu comme un Etat de conquête, et la famille régnante – la famille Al-Khalifa – ne fait pas seulement remonter ses origines (et donc sa légitimité politique) à la conquête de la péninsule arabique par les envahisseur sunnites en 1783 , mais continue également de commémorer cette conquête comme une démonstration de la continuité (de facto) du règne des sunnites sur la majorité chiite. Comme Abdulhadi Khalaf l’écrivait en 1998 :

La conquête de 1783 est devenu une occasion à commémorer dans les livres scolaires et les comptes-rendus officiels. Les noms donnés aux bâtiments publics et aux rues, les émissions de radio et de télévision à travers des concours de poésie et de chant, ainsi que des festivals et des commémorations officielles, célèbrent les individus et les événements liés à la conquête. En 1983, les al-Khalifa ont célébré le bi-centenaire. Tous les groupes d’opposition avaient condamné ces commémorations, claquées sur le modèle du bi-centenaire des Etats-Unis, et la communauté chiite n’avait pas participé à l’événement. L’événement, soigné et dispendieux, incluait des festivals et des conférences universitaires. Ces commémorations mal-avisées ont confirmé les pires accusations que beaucoup formulaient à l’encontre la famille régnante. La plus pertinente d’en elles est l’affirmation selon laquelle la royauté continue d’agir comme une conquérante qui légitime son règne par le droit de conquête.

Je sais bien que le tribalisme et la conquête tribale ne sont pas en tant que tels des entraves à la construction de l’Etat. Plusieurs exemples dans la région montrent que, malgré des querelles tribales antérieures, les alliances et les allégeances tribales sont devenues possibles et ont stimulé le mouvement de construction de l’Etat. Pourtant, l’échec des al-Khalifa d’assimiler cette population les a conduits à saper systématiquement tout effort qui contribuerait à la construction de l’Etat et/ou de la Nation.

L’analyse la plus superficielle des événements à Bahreïn notera évidemment les “tensions communautaires”. On devrait se souvenir de ceci : la minorité sunnite étant aussi l’élite politique et économique du pays, et la majorité chiite subissant un ostracisme tant politique qu’économique, on ne peut pas évoquer la politique de classe ou la démocratisation sans parler des tensions communautaires dans lesquels elles s’inscrivent.

Pourtant il serait faux de conclure que les chiites sont les vrais Bahreïnis parce que l’élite régnante sunnite ne représente qu’une minorité de la population. Une telle simplification serait surtout pernicieuse. Pour une raison simple : les chiites ne représentent pas non plus la majorité de la population du pays. Comme dans les autres pays du Golfe, les étrangers constituent une immense partie de la population (plus de la moitié). Et c’est pourquoi il il vaut mieux éviter de définir qui est un vrai Bahreïni.

Mais, comme Abdulhadi Khalaf l’explique, l’origine de l’Etat et les célébrations continues de son histoire de colon-conquérant semblent avoir structurées son attitude à l’égard de ses sujets et la politique à l’égard des contestations :

…les contes populaires, jusqu’à aujourd’hui, dressent un portrait précis des souffrances des paysans chiites entre les mains des esclaves, des domestiques, des vizirs des fiefs des al-Khalifa. Les contes populaires racontent aussi dans de nombreuses versions remaniées, ce que signifie être un vaincu. Ces contes sont récupérés et réécrits avec une narration dramatique appropriée, avec des ajouts et des retraits, et sont utilisés comme des instruments de mobilisation ethnique. Une imagination similaire a produit de contre-contes populaires mettant en scène le mélodrame des conquistadors et la façon dont ils se sont établis et règnent. L’ethnicité a été établie comme un fondement dominant de l’organisation sociale et de la controverse.

Si on considère Bahreïn comme un simple pion dans un grand jeu entre les Etats-Unis et l’Iran – simplement comme l’un des nombreux Etats du golfe pris entre l’Arabie Saoudite sunnite et l’Iran chiite – on ne comprendra pas en quoi le développement historique de Bahreïn est unique. Alors que Khalaf, par exemple, fait la distinction :

…de la même façon que de nombreux chefs tribaux dans d’autres parties de la partie arabe du golfe, les Al-Khalifa ont signé une série d’accords avec le Royaume-Uni depuis le début du XIXe siècle. Ces accords reconnaissaient la Pax Britannica d’une part, et les formations politiques tribales et les régimes en place d’autre part.

Néanmoins, à la différence d’autres régimes reconnus par la Grande-Bretagne, les Al-Khalifa ont échoué à s’assimiler à leur population comme l’ont fait, par exemple, les al-Sabah au Koweït, les al-Thani au Qatar et les al-Qawassim à Ras al-Khaimah et Sharja. Et, à la différence de ces autres formations politiques, Bahreïn n’est pas devenu une entité politique unifiée, et les Bahreïnis ne sont pas devenus un peuple. De plus, à la différence d’autres formations politiques tribales dans la région, les al-Khalifa continuent de préserver jalousement leur identité et image de “colons régnants”. Pourtant, leur passé “tribal” et leur identité ne sont pas immuables.
A la consternation des “purs sangs” et de quelques opposants “anti-tribaux”, l’identité tribale des al-Khalifa a été modifiée à plusieurs reprises, par des ajouts et des retraits, de façon à s’adapter aux soubresauts de la politique locale et régionale.

En d’autres mots, voilà ce que signifie “communauté” à Bahreïn (ou plutôt ce que ça veut dire quand on a recours à Bahreïn pour refléter la signification régionale du chiisme et du sunnisme) :

En tant que conquérants-colons, le règne [des al-Khalifa] ne dépendait pas du soutien matériel, politique ou autre de leurs sujets. Comme ils comptent sur la force pour extraire les richesses, ils continuent de clamer que leur règne est basé sur le droit de conquête. Voilà une nouvelle différence majeure entre le régime des al-Khalifa et les autres régimes tribaux non-conquistador dans la région.

Ce qui ne revient pas à dire que la politique régionale n’y fait pas irruption. Mais il semble important de se concentrer – comme Khalaf le fait – sur la façon dont une élite d’un pays utilise les divisions communautaires pour se positionner au sein de son pays, au lieu de les considérer simplement comme un relais des dynamiques géopolitiques externes. D’autant plus parce que la géopolitique régionale peut être (et l’est effectivement) utilisée par l’élite du pays pour se maintenir au pouvoir.

Un télégramme du Département d’Etat américain plantant le décor pour le Général Patreus conclut ainsi : “En tant que plus petit Etat du golfe, Bahreïn a historiquement besoin, pour sa sécurité, de liens plus étroits avec un protecteur occidental que ses voisins. Par conséquent, l’US Navy a été très présente ici depuis les derniers jours de la Seconde Guerre mondiale.”

Bien sûr, ce que le rédacteur du télégramme désignait vraiment par “le Bahreïn” était la dynastie al-Khalifa. A la place d’étudier les sources internes du pouvoir – sur une grille allant de la cooptation clientéliste au consentement démocratique – l’élite régnante a maintenu sa position depuis des siècles par des alliances avec des puissances étrangères, en commençant avec l’empire britannique et en finissant avec les Américains :

Depuis 1869, “la relation spéciale” avec la Grande-Bretagne a fourni au régime une source de légitimité cruciale… Depuis plus d’un siècle et particulièrement depuis la découverte du pétrole, la puissance britannique, y compris sa force militaire, est à portée de main pour sauver les al-Khalifa d’attaques de ses opposants, qu’ils soient tribaux, confessionnels ou nationalistes.
[Mais] la pré-éminence de sources externes de légitimité du pouvoir sur les sources internes, a persisté même après que Bahreïn a obtenu l’indépendance et mis un terme au traité sur “la relation spéciale” avec la Grande-Bretagne en 1971. Les régimes frères, membres du Conseil de Coopération Economique, fournissent d’autres réserves externes de puissance et de légitimité.

C’est ce que Jean-François Bayart appelle “l’extraversion” de l’Etat en cours en Afrique (ici ou ) et qui a ici des résonances fort utiles. A la place de regarder vers l’intérieur et de chercher à gouverner sur son peuple (unifié par le consentement ou par la force), Bayart soutient que les Etats extravertis regardent en premier lieu vers l’extérieur, s’adaptant aux puissances étrangères qui les maintiendront en place malgré une population divisée.

Une conséquence de ce positionnement est que l’Etat n’a plus aucun avantage particulier à essayer d’unifier la nation en un seul peuple. En fait, pour le dire encore plus fermement, une élite régnante qui ne tire pas sa légitimité de sa propension à représenter “la nation” et qui se définit elle-même comme une élite conquistador, verra dans cette idée-là de “la nation” une menace à sa légitimité. Ce qu’elle est effectivement. Et l’Etat aura ainsi bien moins de désavantage à recourir à la violence pour mater une révolte populaire : la base de son pouvoir est externe, il a donc bien moins à perdre à réprimer violemment la population sur laquelle il règne.

Tout ça est de la théorie politique. A quel point cela s’applique-t-il ici ? Après tout, Bahreïn a connu des réformes significatives ces dix dernières années. Quand le vieil émir est mort, son fils a pris la relève et a annoncé des réformes importantes (néanmoins ce rapport de 2005 de l’International Crisis Group est, au minimum, pessimiste). Et moi, comme la plupart des observateurs occidentaux, je ne suis pas en mesure de faire plus que spéculer.

Mais regarder Bahreïn à travers ce prisme aide un observateur occidental à donner du sens à, par exemple, la façon dont l’armée sert non pas comme “le représentant de la nation” (comme en Egypte) mais comme une force mercenaire privée.

Le bloggeur Chan’ad Bahraini l’a écrit à propos de l’appareil de sécurité de Bahreïn en 2006 :

Je n’arrive pas à trouver une autre façon de décrire les employés naturalisés des ministères de l’intérieur et de la défense que comme des mercenaires. Ces gens ont été embauchés dans des contrées lointaines pour protéger les intérêts du régime en place, en menaçant et violentant de larges parts de la population. Ils ont été embauchés et naturalisés spécialement parce qu’ils n’avaient aucun lien familial ou culturel avec les Bahreïnis, ce qui les rend entièrement loyaux à leurs commanditaires. Bien qu’ils travaillent dans des organisations telles que “Private Security”, elles sont un peu plus que des organisations privées servant certains individus de la famille régnante Al-Khalifa. (Cette confusion entre public et privé n’est que trop commune au Bahreïn). S’ils ne sont pas des mercenaires, alors je ne sais pas ce que c’est.

L’histoire des mercenaires à Bahreïn remonte au milieu des années 1970, quand la dissolution du parlement et l’adoption de la loi sur la sécurité de l’Etat ont coïncidé avec le choc pétrolier parti de la crise de 1973. (Même si les Britanniques ont introduit bien avant l’idée d’utiliser des effectifs étrangers dans la police à Bahreïn, ce n’est qu’à partir du milieu des années 1970 que des mercenaires ont été embauchés à une aussi grande échelle). En 1975, le dirigeant d’alors, cheikh Isa Ben Salam Al Khalifa a dissout le premier parlement nouvellement indépendant. L’appareil de sécurité de l’Etat avait alors été agrandi et renforcé pour empêcher davantage de troubles civils (un événement courant dans les décénies précédentes). Le régime a eu de la chance, le prix et les revenus du pétrole étaient à leurs niveaux records. Les dépenses pour la défense et la sécurité intérieure sont passées de 22,5 millions de dollars en 1974 à 107,4 millions en 1978, atteignant 287 millions en 1983 (Khalaf, 1985).

Le personnel nécessaire pour équiper l’appareil sécuritaire ne pouvait pas être recruté à Bahreïn parce que le régime n’était pas prêt à faire confiance à une grande partie de la population (depuis 1980, les chiites ne sont pas autorisés à travailler dans les ministères de la défense et de l’intérieur), et aussi, vraissemblablement parce que la plupart des Bahreïnis n’aiment pas l’idée de rouer de coups leurs compatriotes. Les soldats d’infanterie qui ont été embauchés en masse venaient de Jordanie, du Pakistan (surtout des Balutchis) et du Yémen. Il y avait aussi un certain nombre d’employés britanniques du Security Intelligence Service (ndrl : le MI6) qui avaient des compétences spécifiques, le plus connu d’entre eux étant le colonel Ian Henderson.

Dès lors ce n’est plus surprenant qu’une grande partie de la population méprise ces mercenaires. Ce n’est pas seulement parce qu’ils représentent le régime et sa violence, mais aussi parce qu’ils ont bénéficié d’une naturalisation, d’un emploi, d’un hébergement, de soins et d’autres avantages, des services que le régime refuse à une grande partie de la population locale. Cela en fait de “parfaits ennemis” comme un ami les a récemment décrits, et c’est pourquoi ils sont spécifiquement ciblés à chaque trouble violent.

Puisque l’Etat bahreïni se nourrit à la fois des violences communautaires et de la peur des Etats-Unis de l’Iran, il n’est pas étonnant que les manifestants aient fait tant d’efforts pour énoncer leurs exigences dans la langue d’une démocratie non-communautaire :

Nous voulons une véritable vie politique dans laquelle seul le peuple sera la source du pouvoir et des lois.

Nous voulons que le peuple convienne d’une Constitution et la rédige, et que la Constitution soit l’arbitre et le juge dans la relation entre le gouvernant et le gouverné.

Nous voulons une véritable représentation, sans être accusé de trahison à chaque fois que nous manifestatons pour exiger nos droits. [...]

Nous voulons que la police “soit au service du peuple” et nous voulons que l’armée soit issue du peuple.

C’est véritablement ce que nous voulons ; nous ne voulons pas renverser le régime comme beaucoup l’imaginent, et nous ne voulons pas prendre le contrôle du gouvernement, nous ne voulons pas des postes ici ou là. Nous voulons être un peuple qui vit dans la dignité et le droit.

En revanche, la télévision d’Etat de Bahreïn a montré à plusieurs reprises des images d’épées qui auraient été confisquées aux manifestants et les décrit comme représentant la menace plus générale qu’est communautarisme chiite :

Par exemple, un porte-parole du Ministère de l’intérieur a montré ces “épées, armes et drapeaux du Hezbollah” dans un élan visant à transformer les manifestants en envahisseurs étrangers – des agents provocateurs d’un groupe international de militants chiites – légitimant ainsi l’utilisation de l’arsenal militaire de l’Etat. Ca confère même une pointe de théâtre orientaliste pour l’Occident (ce que le régime de Moubarak a aussi essayé).

Il est facile de savoir à qui ils destinent ce théâtre. Les télégrammes diplomatiques du Département d’Etat sur Bahreïn utilisent le même cadrage, décrivant encore et toujours la dynastie régnante comme une sorte de rempart contre les puissances chiites “prédatrices” : dans ce télégramme de 2008, par exemple, le règne de deux siècles de la famille al-Khalifa comme une campagne contre la Perse/l’Iran :

La famille sunnite al-Khalifa s’est emparée de Bahreïn en 1783 au dépend d’un autre clan arabe qui reconnaissait alors la suprématie persane. Alors que les Britanniques quittaient Bahreïn en 1971, le dernier Chah d’Iran a affirmé puis retiré ses revendications de souveraineté sur le pays. Après la révolution islamique en Iran, le régime des clercs a de temps à autres réaffirmé publiquement ces revendications à l’occasion de démonstrations de force nationalistes.

L’alliance des Etats-Unis avec une élite issue d’une minorité est elle décrite de façon assez pertinente :

Bahreïn avec sa famille régnante sunnite et sa majorité chiite a longtemps admis qu’ils avaient besoin des puissances extérieures – d’abord les Britanniques, puis les Etats-Unis – pour se protéger contre ses voisins prédateurs, I’Iran avant tout. Le Chah et les ayatollahs ont affirmé leur revendication de souveraineté sur Bahreïn de temps en temps. Tout en restant proche de leur protecteur américain, les dirigeants de Bahreïn essaie d’éviter de provoquer l’Iran inutilement, et de garder ouverts des canaux de communication avec les dirigeants iraniens.

Notez comme un groupe d’envahisseurs (la dynastie d’al-Khalifa) a besoin de l’aide d’autres puissances étrangères (la Grande-Bretagne et les Etats-Unis) pour protéger “Bahreïn” de l’Iran qui est une menace justement parce qu’on pense qu’un “Bahreïn majoritairement chiite” veut forcément cette alliance.

Dès lors qui est protégé ? Je ne veux pas nier que l’Iran a un intérêt dans ce qui se passe à Bahreïn bien sûr, ni que les Etats sunnites comme le royaume d’Arabie Saoudite (et les Etats-Unis) ont beaucoup à perdre si la monarchie al-Khalifa tombe. Juan Cole est mieux placé que moi pour dire ce qui est en jeu à cet égard. Et “les tensions communautaires” sont certainement réelles, et bien plus compliquées que ça (particulièrement parce qu’elles sont un moyen de parler de classe sans l’admettre). Mais regardons ce qui disparaît si nous regardons ces événements par ce prisme communautaire comme le Département d’Etat semble le faire, comme le Ministre des Affaires Etrangères de Bahreïn nous y invite, et comme le New York Times l’a évidemment fait mardi. Ou plutôt, écoutons cela : la voix des manifestations populaires, scandant : “Ni sunnite, ni chiite, mais Bahreïni”.

Article initialement publié en anglais sur owni.eu sous le titre : Bahrain: a different wind of change

Traduction de Pierre Alonso

Photo Credits: Flickr CC malyousif, Al Jazeera English, Chan’ad and yFrog SultanAlQassemi

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