Pour la fermeture des prisons

La prison n'a toujours pas atteint les objectifs fixés il y a plus de deux siècles. Elle reste le lieu de l'inhumain, de l'indicible, celui dont on ne s'occupe pas. Il serait temps de sortir la tête du sac.

Une société se juge à l’état de ses prisons, écrivit un jour Camus.

Si le nouveau pensionnaire du Panthéon disait vrai, alors la France peut avoir honte. Deux siècles à peine après son élévation au rang de peine de référence, la prison est plus que jamais incapable de remplir la triple mission que lui a assigné le Code pénal de 1791 :

1) sanctionner la faute
2) protéger la société
3) favoriser l’amendement et la réinsertion des condamnés

Une vision romantique de la privation de liberté, issue du cerveau de philanthropes hantés par la louable intention d’en finir avec l’échafaud et les châtiments corporels. Mais le rêve humaniste a tourné court. En 2010, la prison continue à briser des vies, fabriquer de la délinquance et souiller les valeurs démocratiques, sans rien résoudre à la violence de la société. Tous les trois jours en moyenne, un détenu choisit d’en finir plutôt que de supporter la lente déstructuration mentale et morale à laquelle il est condamné derrière les barreaux. Quant à ceux pour qui la prison n’est qu’un lieu de passage, ils sont 40 % à y retourner dans les cinq ans suivant leur libération, validant l’hypothèse selon laquelle « la prison provoque la récidive », pour citer Michel Foucault. Pis : l’institution carcérale reproduit les inégalités sociales en pénalisant les plus faibles, puisque 60 à 70% des infractions sont commises pour des raisons économiques.

Le populisme pénal

Nos prisons brûlent, mais la société française regarde ailleurs, acceptant docilement l’aberration carcérale, malgré quelques soubresauts humanistes lorsque micros et caméras se braquent à l’occasion sur ce lieu de souffrance. Les rapports et enquêtes de terrain dénonçant la situation des détenus ne suffisent toujours pas à mobiliser les politiques, qui font de l’espace pénal l’un des derniers terrains d’expression de l’autorité de l’État. Être filmé en train de lutter contre le crime rapporte plus de voix que n’importe quelle baisse d’impôts. La meilleure preuve de ce populisme pénal est l’apparition dans la sphère publique de la figure de la victime, nouvelle incarnation du citoyen méritant et « héros de la République », invité d’honneur de la garden-party de l’Élysée en 2007.

La diabolisation actuelle de l’image du prisonnier défie pourtant toute logique puisque les « gens dangereux » qui croupissent dans les prisons françaises ont encore trop souvent le visage d’un dealer de cannabis encore mineur, d’un immigré sans-papiers ou d’un malade mental. Autant de populations fragiles dont la place n’est pas entre quatre murs. La violence morale a remplacé la violence corporelle. Surtout, l’esprit de vengeance, cette satisfaction malsaine que l’on ressent lorsque le malfaiteur est puni, n’a pas disparu. La mise à l’écart du corps du malfaisant rassure tandis que fermer les prisons effraie. Mais si l’opinion publique avait toujours raison, Robert Badinter n’aurait jamais fait voter l’abolition de la peine de mort.

Des alternatives à l’enfermement

L’espoir de voir disparaître un jour la prison, institution archaïque et indigne d’une démocratie digne de ce nom, n’a pas pour autant disparu. Sursis, travail d’intérêt général, bracelet électronique, aménagements de peine… Les solutions à l’enfermement ne cessent de gagner du terrain. En 2010, près de 160 000 personnes purgent des peines en milieu ouvert contre environ 62 000 qui sont emprisonnées. La fin des prisons est en marche. Raison de plus pour accélérer le processus. Car compter sur le sens de l’Histoire ne suffit pas. La fermeture des prisons ne sera pas le fruit d’un sursaut humaniste – pourtant indispensable en toile de fond – mais d’un raffinement technologique permettant d’en finir avec l’incarcération. Le temps de l’audace est venu.

Suivons l’exemple de l’Espagne et de la Norvège qui ont aboli la peine de prison à perpétuité. Gelons la construction de nouveaux établissements pénitentiaires, condamnés tôt ou tard à se remplir comme les précédents. Ayons le courage de dépénaliser certains actes soi-disant délictueux (« usage de drogue », « infraction à la législation sur les étrangers »). Sortons de prison les 20% à 30% de détenus souffrant de pathologies mentales. Et ouvrons enfin le débat sur le sort qui doit être réservé aux auteurs de viols et de crimes de sang, puisque condamner une personne à passer 30 ans ou plus derrière les barreaux ajoute de la souffrance à la souffrance, sans pour autant venger la victime et ses proches.

La politique de l’autruche n’a que trop duré. Le corps social français doit désormais s’interroger, sans angélisme, sur l’enjeu carcéral et pénitentiaire. Et débattre de la fonction de la prison pour pouvoir dépasser cette machine infernale. À défaut d’initier une révolution verte, le Grenelle de l’Environnement a eu le mérite de faire émerger la cause écologique dans la sphère publique. Il est temps pour la question pénitentiaire de suivre cette voie. Organiser un « Grenelle des Prisons » pour faire d’une question sensible et impopulaire une priorité gouvernementale serait une preuve de courage politique. Entre les fanatiques de la prison « humaine » et les abolitionnistes jusqu’au-boutistes, une autre voie consiste à vider progressivement les prisons de leurs occupants. Alors seulement la célèbre phrase de Camus ne sera plus qu’un lieu commun sans fondement.

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Illustration cc Loguy pour OWNI.

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