Guerre des nerfs : #12oct historique, majorité monolithique

Le 13 octobre 2010

Face à une France bloquée et mobilisée plus encore qu'en 1995, le gouvernement déploie rideaux de fumée et mauvaise foi. Une attitude propre à pousser un peu le mouvement dans la radicalité et le gouvernement dans sa détermination.

Mieux que les « grandes grèves » de 1995 et que le mouvement anti-CPE en 2006. Annonçant le même chiffre de 3,5 millions de participants pour cette journée du 12 octobre (pour la première fois depuis le début du mouvement), CGT et CFDT se rangent derrière l’adjectif « exceptionnel » pour décrire le quatrième cortège en un mois réuni contre la réforme des retraites. Même les 1,23 million de manifestants comptés par la police marquent un progrès de 9% par rapport au 7 septembre (le plus haut depuis la rentrée).

La démonstration de la rue s’est doublée de blocages dans les raffineries, les lycées, les ports et réseaux de transports, dont certains, à commencer par la RATP, annonçaient ce soir la reconduction pour mercredi 13 octobre. Même si, en milieu de journée, l’Elysée s’était mis en garde, en déclarant qu’il s’attendait à une « journée suivie », le succès renouvelé des mobilisations ne fait qu’accentuer la tension avec une majorité qui pousse le vote à l’urgence et se drape de justice pour affirmer que la rue a tort. Une posture de plus en plus difficile à maintenir.

Guerre du chiffre

Sujet à débat jusque dans leur méthode, les comptages de la police sont désormais remis en cause par les pointeurs eux-mêmes : relevés à chaque manif du fait de leur écart délirant (jusqu’à un rapport de un à dix) avec ceux des syndicats, les estimations de la police marseillaise ont été dénoncés par le syndicat SGP Police comme divisés (24500 annoncés contre 100000 comptés). A l’origine de l’information, Europe 1 titre déjà sur le « maquillage » des chiffres. Comme souvent, obsédé par les indicateurs et la comptabilité politique, la majorité sarkozyenne va s’empresser de dire que ces chiffres (qui lui sont soudain défavorables) n’ont aucune valeur.

Or, c’est elle qui leur a donné de l’importance quand ils mettaient en avant une baisse entre le 7 septembre et le 23 septembre. Par ailleurs, ces chiffres-là ne sont pas issus d’un baromètre fiscal mais de la rue : par leur valeur de rattrapage démocratique, véritables « référendum » de la rue (selon l’analyse de l’historienne Danielle Tartakowsky), contester ces chiffres reviendrait à falsifier une élection. Les manifestants et les journaux auront donc à cÅ“ur de savoir le fin mot de l’histoire et apprendre si Marseille était un cas isolé ou le seul cas découvert.

Guerre des jeunes

Dès 8 heures sur les piquets, prêts à répondre aux journalistes avec la colère de leur âge, les lycéens ont fait l’ouverture des matinales radios, donnant le ton du jour. Eric Diard, député UMP des Bouches-du-Rhône, l’avouait ce matin : il a plus peur de la radicalisation des jeunes « que de la fermeture des terminaux pétroliers ». De fait, dès vendredi dernier, les premières déclarations mettant en cause les réseaux sociaux comme « fauteurs de grèves » et relais de « tracts gauchistes » fusaient de la bouche des ministres mêmes et ce jusqu’à ce matin.

Il fallait crier à la manipulation. Fort. Plus fort que les jeunes. Raison pour laquelle le Premier ministre lui-même y a été de son accusation contre la gauche de « mettre des jeunes de 15 ans dans la rue », comme une condamnation de proxénétisme en plein Palais Bourbon. Las, comme en 1995, la plupart de ces mouvements furent spontanés. Or, c’est précisément ce qui effraie la majorité, comme le soulignait Aurélie Trouvé, coprésidente d’Attac, cette frange des manifestants est la plus imprévisible et la plus tenace. Investis d’un tel poids politique, les syndicats (UNL, Unef, Sud et autres formations étudiantes de gauche) ont peu de chance de vouloir lâcher une mobilisation qui pourrait leur permettre de réitérer le coup de 2006 et du retrait du CPE. Malgré les hauts cris de Copé contre l’opposition « irresponsable de pousser des jeunes à faire grève » et autres répétiteurs de Fillon, Eric Diard a vendu la mèche sur les inquiétudes de la majorité vis-à-vis des jeunes. Eric Diard par ailleurs président du Conseil national du Bruit. Comme quoi certains membres de la majorité ont de vrais vocations.

Guerre des nerfs

Accumulés, toutes ces déconvenues mettent désormais la majorité en position défensive. La preuve en est que, comme au moment de l’affaire Woerth, l’arrivée des jeunes dans les cortèges est présenté comme un « complot », une « manipulation ». Les tentatives de contre-feu se multiplient. Comme à la veille de précédentes manifestations, des propositions hors sujet sont avancées pour décourager le mouvement : qui a vu une seule banderole parlant du bouclier fiscal dans les rues ? Personne mais le gouvernement veut faire savoir qu’il se penche de tout son long sur sa suppression, le JDD y a consacré une longue page ce week-end et des ténors de la majorité sont envoyés prêcher la bonne parole qui pourrait se résumer à « nous résolvons les inégalités ». Et qui de mieux pour ouvrir le bal que le ministre du Budget lui-même, invité dès le matin du 13 octobre sur France Inter ? Seul problème, ce débat là n’est pas celui qui intéresse la rue.

Autre diversion, le rapport du FMI recommandant le recul de deux ans de l’âge de départ à la retraite en France fut l’occasion d’une joute entre la majorité (bien heureuse d’acculer les Socialistes au candidat DSK que beaucoup voient comme déjà désigné) et le PS (embarassé). Or, dans les deux cas, la majorité fait fausse route. Sa « pédagogie de la réforme » a parfaitement porté ses fruits : tous les manifestants ont retenu que le gouvernement restait inflexible sur le recul de l’âge de la retraite et il n’en faudra pas plus pour ressortir samedi prochain dans la rue.

Le chiffre le plus important, c’est celui des 71% de Français interrogés par l’Ifop qui continuent de soutenir la grève. « Normalement, je mets une heure pour aller au travail. Là, ça va me prendre deux heures ou deux heures et demi, mais je comprends le mouvement, je les soutiens », me racontait à l’oreille ce matin ma radio branchée sur RTL. Cet usager mécontent là, cela fait longtemps que je ne l’avais pas entendu, compréhensif à ce point. Et, sur son quai de gare, il prouve à lui tout seul un fait qui pourrait coûter la face au gouvernement : la France qui ne manifeste pas, elle aussi, est contre la réforme. Et, contrairement à ce que certaines villepinades pourraient le laisser croire, la majorité ne l’écoute pas.

Crédit photo FlickR CC : boklm , mafate69.

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