Système de retraites suédois: au Nord, rien de nouveau

Le 11 octobre 2010

Le système suédois est montré par beaucoup comme l'exemple à suivre en matière de retraites. Pas si sûr, car même les modèles les plus reluisants ont leurs vices cachés.

« Le modèle suédois, c’est une illusion née à l’étranger » affirmait l’écrivain et dramaturge suédois Henning Mankell dans les colonnes du journal La Croix daté du 8 octobre. Une voix de moins en moins dissonante dans un pays qui apparaît plus que jamais affaibli par la xénophobie et la désintégration de son fameux modèle social.

Pourtant, ce fameux “modèle Suédois” – système de retraites en tête – n’a jamais été aussi populaire. Grâce à la crise, mais aussi à cause de la réforme des retraites en France, où il a été souvent cité en exemple. L’adoption – sauf surprise – du projet de réforme et la journée de mobilisation du 12 octobre sont l’occasion de revenir sur un système qui semble simple et efficace comme un meuble en kit sur le papier, mais qui a aussi réussi à faire oublier ses nombreuses carences. De quoi tempérer l’ardeur de ceux qui le voient déjà appliqué dans l’hexagone.

Simple et efficace comme un meuble en kit

Pour mieux comprendre les grandes lignes du fonctionnement du système suédois, penchons nous sur le cas (fictif) de Björn (ceci n’est pas un cliché).

Björn a 35 ans. Rentré sur le marché du travail en 1998 au moment de la ratification par le parlement suédois de la toute nouvelle réforme du système des retraites, il travaille dans une grande banque suédoise. Chaque année, il cotise à hauteur de 7 % de son salaire. La banque, de son côté, verse à la caisse des retraites 10 % du salaire de Björn. Ce dernier doit en outre placer 2 % de son salaire dans un fonds de pension.

Chaque année, Björn reçoit par la poste la fameuse enveloppe orange, qui récapitule l’intégralité des cotisations accumulées. Cette somme, pondérée chaque année par l’évolution générale des salaires, constitue ses droits à la retraite et serviront à calculer le montant de cette dernière.

Björn pourra partir à la retraite à partir de 61 ans (dont 40 ans de cotisations), l’âge légal de départ en Suède. La somme de toutes les cotisations versées pendant sa vie professionnelle va être divisée par le nombre d’années d’espérance de vie restantes pour sa classe d’âge afin de calculer le montant de la retraite. Car c’est là le fondement de ce système dit “à comptes notionnels” : le total des cotisations versées pendant le cours de la vie est équivalent au total des retraites perçues.

Mais attention, le système fonctionne encore par répartition : Björn n’a rien épargné, et l’argent qu’il a cotisé pendant sa vie professionnelle a servi a financer directement la retraites de ses aînés.

Des mécanismes existent pour corriger les inégalités du système. L’état prend à sa charge une partie des cotisations dans certains cas (invalidité, longue maladie, congé parentaux longue durée). De même, les personnes qui n’auraient pas cotisé suffisamment pour s’offrir une retraite décente se voient octroyer une retraite minimum.

Un système largement perfectible

Tout ce qui ressemble de près ou de loin à une solution miracle – en l’occurrence un système pérenne largement soutenu par toutes les franges de la société – a un certain pouvoir attractif. Mais même si il est un modèle de rigueur et d’efficacité nordiques, le système suédois est largement perfectible.

La confiance des suédois eux-mêmes dans leur système est toute relative, puisque selon un sondage récent évoqué par un rapport du Comité d’Orientation des Retraites, 60 % des suédois ont une confiance faible ou nulle dans le système. Car la question du financement des retraites n’est pas une question anodine, même en Suède : le parti d’extrême droite les Démocrates de Suède a violemment opposé retraites et immigration dans un virulent clip de campagne interdit de diffusion.

Pas sûr non plus que le système permettent une amélioration des conditions de vie. Edward Whitehouse, économiste à l’OCDE et spécialiste des systèmes de retraite en Europe rappelle que « ce qu’aiment bien passer sous silence les Suédois, c’est que 55 % de leurs seniors touchent la retraite minimale ». De même, aucune disposition n’est prévue pour prendre en compte la pénibilité : le montant de la retraite étant déterminé par l’espérance de vie, les carrières les plus pénibles s’en trouvent pénalisées.

De fait, si le modèle suédois trouve un certain écho en France, où on loue son efficacité économique et sa stabilité, cet avis ne fait pas l’unanimité.

Éric Aubin, en charge de la question des retraites à la CGT, ne croit gère au modèle suédois :

« Le modèle à compte notionnel ne répond pas aux deux questions principales que se posent les salariés : à quel âge et à quel niveau de pension je vais partir. C’est un système où on ne connait pas le niveau de pension : tout dépend de l’âge et de l’espérance de vie de la génération, il y a beaucoup d’incertitudes. »

Un système que la crise Abba

L’indexation des retraites sur le niveau général des salaires ainsi que le placement d’une partie des cotisations sur des fonds de pension rendent le système tributaire des fluctuations économiques et financières.

Ainsi, n’échappant pas à la tourmente économique mondiale, le montant des retraites va subir une chute de 4,4 % en 2010. L’état a d’ailleurs été contraint d’intervenir pour prévenir une dégradation trop forte du pouvoir d’achat des seniors. Cette dépréciation a pris tout le monde par surprise : « on n’avait pas pensé que nos retraites pouvaient augmenter de 4,5 % et baisser d’autant l’année suivante » déclarait l’année dernière Curt Persson, le président de la très influente association de retraités PRO.

« Face à la crise le système suédois n’est pas une garantie. Ce n’est pas un système qui répond au besoin de sécurité » explique Éric Aubin.

Le député (UMP) Arnaud Robinet, auteur d’un rapport sur le financement des retraites en Europe, partage le même constat :

« Le modèle suédois n’est pas la panacée, il y a eu des baisses des pensions, notamment pendant la crise financière. Le système suédois est très intéressant dans son architecture mais en aucun on ne peut le transposer en France. »

Un modèle difficilement transposable à la France

Deux pays à très forte pression fiscale, à forte tradition d’état providence et aux pyramides des âges similaires : il n’en faut pas plus pour que l’éventualité d’une adaptation du modèle suédois en France soit évoquée (http://www.euractiv.fr/modele-suedois-retraites-montre-exemple-france-article).

L’idée est séduisante : « le système Français prend en compte les 25 meilleures années. L’étendre à toute la vie serait plus juste et réduirait les distorsions du marché du travail. ARRCO, le principal régime de retraite fonctionne déjà avec un système à points » explique Edward Whitehouse.

Pourtant, bien malin sera le politique qui parviendra à appliquer en France les recettes suédoises.

Une tradition de consensus qui nous fait défaut

En effet, la Suède nourrit depuis longtemps une forte tradition de consensus. C’est un cliché qui se vérifie : il a fallu près de 15 ans de négociations et de compromis pour que les partis réunis autour de la table des négociations parviennent à un accord définitif, mettant en place un système financièrement équilibré et pérenne.

En outre, là où la réforme française est dictée directement par l’Élysée, les autorités suédoises ont inclut aux négociations la grande majorité des partis politique. Résultat ? Un processus de réforme qui a débuté au milieu des années 80 pour une adoption au Parlement en 1998… avec près de 80 % des voix. La Suède a ainsi réussi ce qui nous apparaît comme un tour de force politique : affranchir une réforme profonde et contestée des échéances électorales.

Oui mais voilà, la France n’est pas la Suède. « Il y a eu là-bas 15 ans de négociations, or nos caisses n’ont pas 15 années de réserve devant elles, les choses sont différentes » rappelle Éric Aubin. En effet, les caisses de retraites suédoises ont longtemps été bénéficiaires et ont pu accumuler de solides réserves, s’octroyant une marge de manœuvre plus que confortable.

De lourdes différences structurelles

Adapter le modèle suédois est structurellement délicat. Selon Arnaud Robinet « la Suède a un système simple transparent et beaucoup plus lisible. En France il y a plus de 35 régimes de retraite différents ». Par ailleurs, l’ancien système suédois était déjà largement unifié, ce qui l’a rendu beaucoup plus facile à réformer que nos multiples régimes spéciaux. C’est aussi l’avis d’Edward Whitehouse : « en France, il serait complexe de mettre en œuvre le système suédois à cause du grand nombre de régimes appliqués aux différents groupes de salariés. Cela aurait beaucoup moins de sens d’avoir une partie du système qui resterait inchangée et une autre qui fonctionnerait à la suédoise ».

Plus largement, le modèle Français semble avoir de beaux jours devant lui, que ce soit pour la majorité ou pour l’opposition.

Un modèle français pas encore enterré

Pour Éric Aubin, pas la peine d’envisager une réforme systémique à la suédoise, car l’enjeu se situe davantage dans la question de la répartition des richesses que dans la structure du système :

« Notre système est viable, il a fait ses preuves depuis 1945, notamment quand le pays était en difficulté à la sortie de la guerre. Il faut redéfinir le financement de la protection sociale en France, et notamment le financement des retraites. Nous n’avons pas besoin de réforme totale. Depuis 20 à 30 ans, plus de richesses sont redistribuées aux actionnaires et de moins en moins à la protection sociale. Sarkozy avait pointé ce problème mais rien n’a jamais été fait pour rééquilibrer »

Le député Arnaud Robinet partage le même constat et estime que « nous devons sauvegarder le système par répartition, qui relève de la solidarité intergénérationnelle. Le système français parviendra à l’équilibre 2018, mais il faut le renforcer. Nous avons la possibilité, en France de consolider le système par répartition. »

Reste à voir si une retraite menée au pas de charge peut montrer la même stabilité politique qu’une réforme négociée sur 15 ans, dont l’équilibre financier et la pérennité politique semblent à l’abri de toute forme de contingence. Les hommes politiques français seraient de toute façon bien inspirés de prendre exemple sur les pays du nord et la social-démocratie scandinave, du moins ce qu’il en reste.

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Crédits Photo CC Flickr : Matti Mattila, Stewf & Danko.

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