Métier: journaliste héroïque

Le 17 juin 2010

Si les nouvelles formes de journalisme commencent à se préciser, le dernier scandale qui a fait trembler les élites est venu du journalisme dit "traditionnel". Retour sur le scandale des notes de frais en Grande-Bretagne, et éloge des héros.

Un exemple britannique

Ami lecteur, me revoilà, toute pimpante et revigorée ! Oui, j’ai passé une semaine merveilleuse à lire des blogs de journalistes défendant les blogueurs, de blogueurs-stars se la jouant modeste et défendant les blogueurs médiocres, de blogueuses sensuelles défendant les blogs pour tous, journalistes ou pas.

J’aime être rassurée, entendre que mon blog minable est beau et désirable et qu’il y a un but profond à mes élucubrations parfois délétères. Bon pour mon égo tout ça. Voui voui voui. Le merci !

Journalistes sérieux, je vous kiffe

Mais bon, ça va bien cinq minutes. Si je respire un bon coup et que j’utilise le neurone qui me reste après avoir essayé d’installer Google Analytics, je dois en déduire qu’il me faut de toute urgence écrire un billet à la gloire du journalisme. Oui, le Huffington Post et tout ça, c’est bien pour remplir le creux d’une dent, mais il faut bien admettre que ça flirte avec le nul quand même. Prétendre faire de l’info avec une équipe journalistique rachitique, c’est de la SF ou du SM. Ça fait du fric, me direz-vous: il y a donc quelque chose de bon à en tirer -> du jus de soussous.

Puis, les blogs indépendants, journaleux ou pas, j’adore, croyez-moi, mais comme on aime un bon vin pour accompagner de la grande cuisine. Et boire du vin sans manger, c’est mauvais pour la santé.

Pour me nourir, moi, je veux du billet long du New-Yorker, de l’enquête du New-York Times, de l’article de fond du Monde, et des couvertures sans filles à poil de Wired (etc). Journalistes sérieux, je vous kiffe, et j’invite fermement le reste du monde à faire de même. Educateurs des masses, transistors des ondes du monde qui bouge trop vite, porte-voix des gentils et des vilains, phares dans la tempête. Vision idéaliste ? Pas du tout, voyons, que du contraire ! J’en rajoute une couche, tiens ! Parfois, journalistes, vous êtes tout bonnement héroiques, si héroiques que vous changez le monde. Et voici un bel exemple.

L’exemple du scandale des notes de frais au Royaume-Uni

Trois journalistes peuvent être crédités d’avoir déterré, et rendu public au printemps 2009, le scandale absolu qu’était la manière dont les Membres du Parlement (MPs) britannique se rémunéraient eux-mêmes. En faisant cela, ils ont changé la donne des dernières élections législatives, et probablement de toutes les élections qui vont suivre. Mais surtout, ils ont forcé la Grande-Bretagne à commencer d’évaluer son déficit démocratique. Chapeau !

Voyez-vous, ces petits coquins de MPs, plutôt que d’adopter une loi impopulaire augmentant publiquement et légalement leur salaire, s’étaient concoctés un petit système de remboursement de notes de frais pas piqué des vers. Tout cela était bien hush-hush, personne n’en savait rien sauf eux. Certains avaient même soutenu qu’il aurait été destructif de modifier ce système, car plus personne ne voudrait plus se présenter comme MP s’il n’y avait pas de petits a-coté juteux si le public pouvait pénétrer dans leur sphère privée en obtenant leurs notes de frais.

Puis, en 2005, le Freedom of Information Act est entré en vigueur, donnant accès, sur demande, aux documents émis par des institutions publiques. Trois journalistes ont immédiatement fait des requêtes de documents à la House of Commons (chambre basse du Parlement) sur les notes de frais des MPs. Leurs noms: Heather Brooke, free-lance  l’époque, Ben Leapman du Daily Telegraph et Jonathan Ungoed-Thomas du Sunday Times. Leur achèvement est tellement immense que la BBC en a fait un film, diffusé en février cette année. Leur combat a pris des années: ils se sont pris moult portes dans la figure et ont dû entamer une action en justice. Entretemps, la House of Commons a même tenté a deux reprises de s’exempter du Freedom of Information Act. Un comble du genre ! ”Fais ce que je dis mais ne fais pas ce que je fais”. Puis, les journalistes ont gagné, et tout est sorti dans le Daily Telegraph.

Sans la mise en lumière de ces abus, il est probable que les LibDems auraient obtenu beaucoup moins de voix aux élections du 6 mai, et qu’il y aurait eu un gouvernement majoritaire bien fort. Beaucoup plus de “vieux de la vieille” seraient restés au Parlement, qui ont dû être remplacés à la dernière minute par leurs partis parce qu’ils s’étaient rendus trop impopulaires avec leurs abus de notes de frais. En somme, il s’agit là d’une belle bouffée d’air démocratique. Espérons que ça dure .

Heather Brooke est considérée comme la chef de file du combat pour obtenir la transparence du Parlement britannique, parce qu’elle y a passé le plus de temps et mis le plus de moyens. Elle mérite d’être présentée:

Heather Brooke, activiste du manque de transparence

Il était une fois une jeune femme nommée Heather Brooke. Elle était née aux Etats-Unis de parents britanniques, et était devenue journaliste, d’abord à Olympia, dans l’Etat de Washington, puis en Caroline du Sud. A la fin des années 90, après avoir couvert plus de 300 meurtres pour le Spartanburg Herald-Journal, elle était vannée, et décida de rejoindre son père, qui était reparti vivre au Royaume-Uni après la mort de sa femme.

C’est le merveilleux article du New-Yorker du 7 juin 2010, Party Games, dont vous pouvez trouver un extrait ici, qui m’a fait redécouvrir Heather, dont j’avais vaguement entendu le nom l’an dernier, quand le scandale des notes de frais des parlementaires britanniques avait été mis à jour.

Lorsqu’elle était journaliste aux Etats-Unis, Heather faisait souvent des requêtes de documents publics, et avait pris l’habitude… de les obtenir facilement.

Après son arrivée au Royaume-Uni, c’est un problème dans son voisinage qui lui a fait découvrir le manque de transparence (euphémisme) des institutions locales et nationales. Précisons quand même que pour gérer ce problème de voisinage, elle a utilisé tous les trucs qu’elle avait appris en tant que journaliste pro.

En 2003, une jeune femme avait été assassinée dans son parc local, et Brooke avait demandé à la police et aux autorités locales des informations chiffrées sur les crimes similaires dans le quartier. Elle y mis beaucoup de temps, de patience et d’énergie et obtint… que dalle. Puis, plutôt que de devenir gaga et de broyer du noir, elle décida d’écrire un livre expliquant aux britanniques comment utiliser le Freedom of Information Act qui allait entrer en vigueur deux ans plus tard.

De là à s’intéresser aux notes de frais des parlementaires, il n’y avait qu’un pas. Grâce à son succès dans ce combat, elle a obtenu plusieurs prix, et a pu écrire son nouveau livre “The Silent State”.

Voilà, c’était ma modeste présentation d’un bien joli combat pour la transparence, et contre la condescendance des élites gérant le pays. Un combat mené par des journalistes, et il y a plein d’autres exemples.

Journalistes : continuez, moi, je ne peux pas vivre sans vous.

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Billet originellement publié sur La Patrouille Internationale.

Crédits Photo CC Flickr : Ashley Rosex, Levork.

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