Hadopi, 3000 jours trop tard
Pour comprendre pour quel Internet a été pensée la loi Hadopi, il faut revenir seulement 3000 jours en arrière. Un disque dur de 15 Go coûtait 100 euros. Les réseaux peer-to-peer n’étant pas encore cryptés, on pouvait rêver de les contrôler un jour. Je n’avais que 16 ans à l’époque, mais je me souviens encore [...]
Pour comprendre pour quel Internet a été pensée la loi Hadopi, il faut revenir seulement 3000 jours en arrière. Un disque dur de 15 Go coûtait 100 euros. Les réseaux peer-to-peer n’étant pas encore cryptés, on pouvait rêver de les contrôler un jour. Je n’avais que 16 ans à l’époque, mais je me souviens encore du peu de gens dans la rue qui portaient des écouteurs. Forcément, l’iPod n’existait pas. Wikipedia, Facebook et YouTube non plus. Trois des sept sites les plus fréquentés aujourd’hui, tous gratuits.
Que s’est-il passé entre-temps qui a échappé aux créateurs de l’Hadopi ? L’innovation. Des géants sont nés dans les garages de quelques auto-entrepreneurs et ont révolutionné l’accès à la culture en la rendant gratuite pour tous. On peut les accuser d’avoir fait chuter les ventes de CD, mais déjà à 16 ans je savais que je n’en achèterais aucun de ma vie. Cela ne m’a pas empêché de dépenser plus de 8.000 euros depuis en places de concerts. Le marché de la musique se transforme, mais globalement ne cesse de grossir.
Nous passons d’une économie de stock où le mélomane était limité par son “budget CD” à une économie de flux où la valeur ne se situe plus dans la musique elle-même (car elle est numérique, donc illimitée, donc gratuite) mais dans ce qu’elle représente : la relation entre un artiste et ses fans. En 2008, la meilleure vente de musique en ligne sur Amazon a été un album de Nine Inch Nails, un groupe qui distribue pourtant sa musique gratuitement et légalement par ailleurs. Qu’ont donc acheté ces gens ? Certainement pas la musique elle-même. Comme les millions d’autres qui l’ont écoutée gratuitement, ils sont devenus fans, l’ont streamée, partagée sur Facebook ou ailleurs, l’ont recommandée à leurs amis qui à leur tour ont acheté places de concerts, coffrets collector et autres produits ou services dérivés. Tous les jours, des milliers d’artistes, de Radiohead aux autoproduits, comprennent ce qu’ils ont à gagner dans la diffusion gratuite. La fidélité accrue de leurs fans crée de la valeur.
Soyons cyniques : peut-être que la loi Hadopi servira à accélérer cette transformation de l’économie culturelle, cette éducation des artistes au monde numérique. Quand arriveront les premières lettres recommandées, les premières coupures d’internet, quel cadeau pour le gratuit et légal ! Quelle remise en question pour l’artiste se rendant compte que c’est la punition automatique de ses fans qui a privé un foyer d’accès à Wikipedia !
Plus concrètement, comme les lois LCEN et DADVSI qui l’ont précédée, on se rappellera (ou pas) d’Hadopi comme d’une loi inapplicable dès son premier jour, imaginée pour une économie et des technologies déjà dépassées. Un gaspillage de temps et d’argent que le gouvernement aurait certainement mieux fait de consacrer à des lois plus pertinentes en faveur de l’environnement ou des auto-entrepreneurs.
Car ce sont eux qui aujourd’hui préparent, clavier à la main et iPod à l’oreille, ce que sera Internet dans 3000 jours. Quand l’industrie musicale existera toujours mais ne vendra plus de disques. Quand télécharger un film prendra moins d’une seconde. Quand 200 ans de musique tiendront dans la poche. Quand une nouvelle génération d’artistes n’aura ni email ni ADSL mais un compte Facebook et une connexion internet sans fil permanente. C’est pour ce siècle là , pas pour le précédent, que nous devons penser la culture.
Article publié dans Le Monde, 12 Avril 2009.
Sylvain Zimmer a fondé la plateforme de téléchargement gratuit et légal Jamendo.com en 2004, à 19 ans. Elle rassemble à ce jour 18.000 albums en provenance de 70 pays et emploie 25 personnes.
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