Terroriste, mais pas (vraiment) coupable.

Le 29 avril 2009

Je suis une terroriste. Je n’en avais pas vraiment conscience car, jusqu’à la lecture de cet article, le terrorisme, à mes yeux naïfs de classe moyenne parisienne, c’était « des actes graves de violence dirigés contre la vie » (Convention de Strasbourg 1977)  et des crétins enrhumés par des fanatiques qui ne piégeaient pas que leur cadavre. Mais, [...]

Je suis une terroriste. Je n’en avais pas vraiment conscience car, jusqu’à la lecture de cet article, le terrorisme, à mes yeux naïfs de classe moyenne parisienne, c’était « des actes graves de violence dirigés contre la vie » (Convention de Strasbourg 1977)  et des crétins enrhumés par des fanatiques qui ne piégeaient pas que leur cadavre. Mais, fort heureusement, la justice de mon pays m’a ouvert les yeux. Au terme de l’article 421-1 du Code Pénal, l’acte terroriste n’a pas besoin d’être commis, il suffit, par une appréciation purement subjective de notre amie aveugle (parfois) la Justice, d’avoir l’intention de (cf loi du 13/02/08)…  Je suis coupable. En tout cas, ma bibliothèque et un faisceau d’indices capillotractés le prouvent.

Examinons ensemble les preuves  avant que je ne fasse un autodafé salvateur dans mon salon (Si vous croyez que je suis prête à subir 6 mois de détention pour des livres que j’ai déjà lus !).  D’abord, je pensais qu’un terroriste se reconnaissait au moins à son horreur de l’épilation ou à son couteau entre les dents, ce qui, de fait, m’excluait. Or, Marc Sageman m’a fait comprendre mon erreur : le commun des mortels et un terroriste ont énormément de ressemblance, comme qui dirait qu’ils sont identiques ( sauf quand on les radiographie ). Je suis fille de classe moyenne, classe moyenne moi-même, éduquée, diplômée, avec une prédilection pour les sciences humaines et une tendance à préférer en matière d’enveloppe à glisser dans une urne,  ma main gauche à ma main droite. Les points d’achoppement entre ma biographie et celle de Julien Coupat vous sautent aux yeux n’est ce pas ? De plus, du plateau de Millevaches à ceux du Larzac dont je suis originaire, il n’y a qu’un pas, Michèle Alliot Marie vous le dira. Mais, l’indice essentiel, si Hadopi ne prend pas encore possession de mon ordinateur, reste ma bibliothèque. Lors d’une perquisition, la SDAT ( sous direction de l’anti-terrorisme) y aurait trouvé : l’intégrale de Marx, Bakounine, Tchakhotine et Proudhon, mais aussi du Agamben et du Baumman et évidemment tout Sade. J’avais jusqu’alors aux yeux et à la barbe de tous mes  visiteurs, pêle-mêle, La Grande Famille de Jean Grave, une biographie de Louise Michel et autres incitations à la violence, telle qu’Aragon, Rimbaud  ou Léon Bloy. J’avais même un exemplaire de Mein Kampf, que je brûlerai en premier de peur de me faire taxer d’antisémitisme, en plus de terrorisme d’ultra-gauche. Et au centre, trônait L’homme Révolté de Camus dont j’avais fait mienne son inversion du cogito cartésien « Je me révolte donc nous sommes. Et nous sommes seuls. » Sachant que le terrorisme se classifie selon deux échelles, l’une de destruction, l’autre de propagation, et  sachant que j’ai prêté beaucoup de ces livres (mais jamais à Alain Bauer  qui lui, a la même bibliothèque que moi, mais lui c’est pour son travail de conseiller de MAM), les considérant comme une base à la culture classique et à la réflexion critique, je suis bonne, pour la taule, le gnouf… Pire, j’ai des circonstances aggravantes… J’ai « updaté » ma bibliothèque.

Curieuse coïncidence, face à l’émergence de cet ennemi intérieur  j’ai pu acheter dans les 6 derniers mois, en vente libre, en cherchant un peu, dans une grande enseigne qu’on peut taxer à 5.5% de tout, sauf de tendance anarchiste ( à part peut être dans son rayonnage, mais je m’égare..) trois ouvrages qui me classent définitivement parmi les tenants de l’action directe :  Le cheval blême de Boris Savinkov, De A à X de John Berger, Le week-end de Bernard Schlink,  . Tous posent la seule véritable question ainsi formulée par Camus ( encore lui !) : « le seul problème moral vraiment sérieux, c’est le meurtre ».  

Savinkov était lui-même un terroriste, l’Histoire lui doit notamment l’attentat qui coûta la vie au grand duc Serge, le 4 février 1905, la France l’a accueilli en exil, et il inspira notamment Lukàcs. Le cheval blême, sous titré journal d’un terroriste, tire son titre de l’Evangile, c’est vous dire combien la morale est présente. Existe-t-il une foi en l’homme si supérieure que l’on puisse enfreindre ce commandement ? Peut-on vouloir à ce point que la cité des hommes devienne celle de Dieu sur cette terre ? Savinkov le croyait, mais pas sans doute. On ne résout pas si facilement l’antinomie du bien et du mal. Pourtant, la première évidence, celle de la révolte, mène au combat, à l’action directe, et à se condamner dans cette vie, et dans l’autre possible, pour le bien des autres. Même Churchill ( encore un anarchiste ! ) a admiré la pureté et l’inspiration dostoievskienne de ce court texte.

Et une fois, l’acte terroriste commis et que l’on est pris, condamné et enfermé ? John Berger a imaginé la correspondance entre Aïda et Xavier, elle condamnée à l’attendre, lui enfermé pour terrorisme. « A Toi je dis OUI ; à la vie que nous avons à vivre je dis NON. Pourtant je suis fière de cette vie, fière de ce que nous avons fait, fière de nous. »  lui écrit-elle. Aïda et Xavier se parlent avec l’érotisme de l’absence et la foi en eux des  utopistes. Mais A et X nous parlent, sans détour, de leur vision d’un monde qui s’écroule autour du veau d’or du dieu des 4 M : Marché, Mondialisation, Média et Morale.

Et si, comme Jean-Marc Rouillan , après avoir purgé sa peine, l’on pouvait être libéré ? Jörg, protagoniste du Week-end  est dans ce cas. Face à sa famille et ses amis, tout au long d’un éprouvant week-end, il se cramponne à ses idéaux, ses justifications, quand tous le confrontent à l’horreur humaine de l’acte. Ce qu’ils attendent de lui, c’est plus qu’une explication : ils comptent sur ses remords. Eux ont eu le temps de changer, de sacrifier à la vie, petit à petit leurs idéaux de jeunesse. Pour eux « fighting for peace is like fucking for virginity ». En lui, reste toujours vivace l’innocence que confère le droit à la révolte, jusqu’à se rendre insupportable à lui-même et inaccessible au pardon.

En trois ouvrages récemment publiés et en vente libre, j’ai acquis un manuel de vie du parfait terroriste. Et pour passer à l’action directe, j’aurai obtenu par le biais de circuits secrets et étrangers (allemands évidemment )  des aiguilles à tricoter  qui me permettraient de torturer en effigie des poupées que j’aurai nommées UTOPIE, OPINION, et ESPRIT CRITIQUE …Mais finalement, je vais préférer brûler mes livres et tricoter une belle poupée que j’appellerai CONSENSUS , en oubliant ce  que j’ai lu chez Robert Merton  c’est à dire que ce ventre mou peut aussi mener au crime.

 

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