OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Mon data-journalism à l’heure Sarkozy http://owni.fr/2012/01/14/lapoix-data-journalisme-donnees-sarkozy/ http://owni.fr/2012/01/14/lapoix-data-journalisme-donnees-sarkozy/#comments Sat, 14 Jan 2012 10:21:08 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=94049

Au début, je ne me sentais pas de m’y mêler à cette histoire de datajournalisme. J’avais tapoté les trois premières années de ma petite carrière dans un canard “d’angles” où l’originalité du mode de traitement et du ton étaient des valeurs cardinales. Mais l’exemple de certains de mes confrères les plus enthousiastes face à l’utilisation des données m’a convaincu. Et je me suis emparé de dossiers dégueulants de chiffres, poisseux de graphs où j’ai trouvé une vraie matière à enquête et à analyse. Mais en remontant à la surface médiatique de ces plongées dans le gras de la stat, j’ai réalisé que, sur le même postulat de départ, certains de mes confrères se goinfraient de mauvais chiffres.

L’apparition du journalisme de données (datajournalism en anglais) dans nos conceptions professionnelles au même moment que le sarkozysme asseyait son emprise sur l’échiquier politique n’a pas eu que du bon. Certes, avec les habitudes prises par Nicolas Sarkozy place Beauvau et à Bercy en matière d’obsession du chiffre, la nouvelle majorité a donné du boulot aux anciens et nouveaux curieux de la vérif.

En revanche, elle a aussi installé de mauvais réflexes dans l’analyse politique, devenue fébrile au moindre chiffre, s’excitant pour la première estimation de quoi que ce soit… Jusqu’à oublier le sens derrière lesdites statistiques, qui, sans un boulot de contextualisation et de mise en relation, restent de bêtes séries de chiffres à même d’assommer le premier lecteur sous les coups martelés d’un lubbie élitiste.

RGPP du journalisme

Car ces données sont belles et bien utiles, parfois décisives, pour démêler l’efficace du superflu et l’approximation de l’observation attentive. Mais leur utilisation froide, dans les ministères comme dans les rédactions, se révèle parfois contre-productive et très souvent mensongère.

L’application à l’échelle du gouvernement de la “politique du chiffre” expérimentée au ministère de l’Intérieur par Nicolas Sarkozy a répandu avec la révision générale des politiques publiques (la fameuse RGPP) une vision froide des chiffres que l’on pourrait résumer d’un moto : “coupez, coupez, il en restera toujours quelque chose”. Malgré des concertations par fonctions, le non renouvellement d’une partie des fonctionnaires et les coupes claires dans certains corps ont généré des manques aberrants qui ont nui au fonctionnement même de certaines institutions. La fusion de l’Unedic et l’ANPE au sein du Pôle emploi a ainsi mis l’administration face à une évidence “chaude” que ne traduisait aucun des chiffres “froids” de réduction d’effectifs : entre les agents chargés de l’indemnisation et ceux chargés du placement, la différence n’était pas qu’une question de nombres mais aussi de culture vis-à-vis des administrés et de formation des personnels. La crise sociale au sein des administrations concernées n’était retranscrite dans aucun tableau Excel. Alors qu’il aurait pu l’être avec une autre méthode.

De la même manière, les confrères ayant décidé de s’aligner sur les obsessions chiffrées de la majorité ont développé des fixettes sans aucun sens économique ou politique (sinon celui de la confrontation politicienne) qui, de plus, ne parlent à aucun lecteur en dehors des cadres des partis ou des ministères et des autres journalistes. Au premier rang de celles-ci, la crise de la dette a provoqué une ruée vers les calculatrices pour opérer un systématique et bien inutile “chiffrage” des programmes. Exercice fastidieux, approximatif et totalement abstrait, il a l’avantage pour les candidats d’installer le débat non pas à la table des idées mais à celle des comptables. Le “bon” candidat de 2012 serait un candidat “dont le programme ne coûte pas cher”. Un raccourci si pratique qu’il a même été adopté par Marine Le Pen qui a publié son propre chiffrage, une occasion de se positionner au même niveau que les socialistes et UMPistes qui se renvoient la balle à coups de milliards.

Sauf que, dans cet exercice, il est tenu compte de tout… sauf des circonstances d’application des mesures chiffrées ! Comment connaître la “performance budgétaire” d’un programme quand on ne sait pas dans quel ordre seront votées les lois, à quelles dates seront signés les décrets d’application, sous quels délais les mesures seront effectivement mises en place, quelles seront les rentrées fiscales pour financer le budget, quel sera le cours de l’euro à date (et donc des échanges commerciaux et financiers), quel sera le cours d’émission de la dette nationale… Autrement dit, en voulant “faire comptable”, les candidats nient purement et simplement les critères de base de la matière où ils prétendent rouler des mécaniques. Mais, par sa médiatisation excessive, ce marathon de chiffres voit les coureurs sacrifier jusqu’à leur dossard, comme quand François Hollande rabote certains points de sa proposition phare pour les jeunes du “contrat de génération” afin d’en réduire le coût hypothétique sur lequel ses opposants l’avait attaqué. “Comptez, comptez, il en restera toujours quelque chose”.

Lâchez cette calculatrice !

De la vérification et du recoupement, poutres porteuses de la méthode journalistique, certains journalistes politiques basculent dans la recherche frénétique de données à “balancer”. Une impatience dont la majorité présidentielle sait désormais tirer parti, qui a débuté la réduction des moyens de l’Insee (organisation d’intérêt général, s’il en est), au profit de thinks tanks, groupes de travail ou “services ministériels de la statistique” qui pulsent à tout va des données plus ou moins sourcées voire carrément malhonnêtes.

Chargé d’un rapport sur le bilan des 35 heures pour l’UMP, Hervé Novelli a ainsi produit un chiffre choc : la mesure de réduction de temps de travail de Martine Aubry aurait coûté 100 milliards d’euros à l’Etat depuis 2000 ! Or, derrière ce chiffre, le secrétaire général adjoint du parti majoritaire a caché un petit calcul maison d’une rigueur budgétaire douteuse. Pour établir le coût annuel, il a en effet ajouté à l’évaluation de la Dares de douze milliards d’euros déboursés pour les 35 heures en 2010 (et en 2010 seulement), les 3,127 milliards d’exonération de charge des heures supplémentaires et les 1,360 milliards d’exonérations fiscales votées dans le cadre de la loi Tepa de… Nicolas Sarkozy ! Argument du rapporteur : la loi Tepa a été proposée par le président de la République pour “compenser” l’effet des 35 heures, son coût peut donc être imputé à Martine Aubry ! Et c’est ainsi que Novelli nous sort un chiffre bien rond, tracé au doigt très mouillé de la main droite. Félicitons-nous qu’il n’ait pas intégré le coût de l’augmentation des congés payés du programme commun de 1981, voire le coût cumulé de leur instauration depuis le Front populaire en 1936.



Extrait du rapport d'Hervé Novelli sur les 35 heures remis à l'UMP.



A l’inverse de cette démarche évidemment partisane, d’autres sources livrent des sommes lourdes mais bien plus nourrissantes à qui cherche des données chaudes. Fruit des travaux et auditions des députés Michel Heinrich (UMP) et Régis Juanico (PS), le rapport d’information sur l’évaluation de la performance des politiques sociales en Europe offre ainsi une analyse comparative d’une étonnante fraîcheur sur l’aide au retour à l’emploi, la politique de la petite enfance ou l’insertion. Discutant avec les deux rapporteurs à l’occasion d’une conférence organisée par l’Association des journalistes européens, j’ai ainsi appris que, selon leur chiffre, “dans les pays étudiés, l’aide financière direct est très généralement moins efficace que l’accompagnement personnalisé”. Un constat appuyé sur nombre de tableaux croisés de discussions avec des syndicalistes patronaux et salariaux à travers le continent. Un vrai constat politique et polémique à même de faire réfléchir éditorialistes, candidats et citoyens sur la politique sociale à la française.

Un boulot qu’aurait aussi pu faire un sociologue ou un journaliste de mise en rapport de données “froides” avec un terrain “chaud”. Un sociologue ou un journaliste avec beaucoup de temps, certes, le rapport Heinrich-Juanico a fait l’objet de près de neuf mois d’audition et de recherche. Mais rien n’empêche de se livrer au même exercice à plus petite échelle. Dans le cadre de l’enquête menée avec Ophelia Noor et Pierre Ropert sur les gaz de schiste, nous avions formé le voeu de réaliser avec notre designeuse Marion Boucharlat une carte à partir d’un document administratif des plus banales : un arrêté ministériel. Comme ceux indiquant les tracés de ligne à haute tension ou d’autoroutes, ce dernier comportait des coordonnées géographiques indiquant les limites des permis d’exploration minier accordés par le ministère de l’environnement.

Sauf qu’au moment de rentrer le tout dans une base de donnée classique, la souris nous est tombée des mains : tout avait été retranscrit en “Lambert II”, système de coordonnées géographiques cacochyme (de l’avis de spécialistes consultés), utilisé presque exclusivement en France et incompatible avec quelque outil de cartographie moderne gratuit que ce soit. Coups de fil à l’IGN, questions à des géographes… nous avons fini par nous résoudre à adopter une formule de conversion permettant (avec une marge d’erreur acceptable) de convertir ces données en points sur une Google Maps et ainsi de tracer les limites. Une contradiction avec l’esprit de la loi qui veut que nul n’est censé l’ignorer, puisqu’il est d’un intérêt douteux de publier des textes d’information d’intérêt général au Journal officiel s’il faut, pour pouvoir les décoder, un premier cycle de géographie ou des logiciels de carto à 50 euros la licence. Les gouvernements ont beau jeu de brandir “l’open data” comme un brevet de modernité face aux foules qu’on imagine scotchées à leur Minitel. Mais sans format lisibles, ces paquets de données sont aussi utiles à scruter les débats publiques que des loupes sans verre.

L’information n’a aucun raison de caler face aux difficultés que rencontre la profession sur le plan de la crébilité. En dehors de l’investigation et du reportage, les données font partie des carburants alternatifs au moteur journalistique, plus que jamais nécessaire pour questionner nos choix de société. Avec un peu de bonne volonté des administrations (autres que l’Insee, dont les mines de données restent encore sous exploitées) pour livrer des données exploitables et un peu de curiosité et de rigueur des confrères pour appliquer leur expertise (que ce soit sur les questions d’économie, de sécurité, de finances ou que sais-je), il y a de quoi renouveler profondément et utilement le fond du débat public. Et si les citoyens s’y mêlent pour y ajouter une dose de critique, il se pourrait même que le résultat soit sacrément politique.

Illustration : image de clef générée sur DeGraeve.com ; FlickR BY PSD.

]]>
http://owni.fr/2012/01/14/lapoix-data-journalisme-donnees-sarkozy/feed/ 4
La police : victime collatérale des coupes budgétaires http://owni.fr/2010/11/22/la-police-victime-collaterale-des-coupes-budgetaires-securite-sarkozy-banlieue/ http://owni.fr/2010/11/22/la-police-victime-collaterale-des-coupes-budgetaires-securite-sarkozy-banlieue/#comments Mon, 22 Nov 2010 14:12:41 +0000 Zeyes http://owni.fr/?p=37231 Jean-Jacques Urvoas, député PS du Finistère et secrétaire national chargé de la sécurité, a récemment publié un réquisitoire au titre évocateur Le baiser de Judas, ou comment Nicolas Sarkozy abîme la police républicaine. C’est à la suite de cette parution que nous avons décidé de le rencontrer. Cette rencontre va donner lieu à la publication de plusieurs notes sur ce blog.

La lutte contre l’insécurité est la priorité affichée par Nicolas Sarkozy depuis 2002. « Nous allons gagner la guerre contre l’insécurité » déclarait en juin 2002 le Ministre de l’Intérieur. Des déclarations de guerre maintes fois réitérée depuis. Face à tant de détermination, qui pourrait croire que les troupes censées livrer cette bataille souffrent dans le même temps d’un manque criant de considération. Il faut pourtant se rendre à l’évidence : non seulement Nicolas Sarkozy n’aura pas su résister aux inerties dictées par l’habitude, mais plus grave encore, il aura fait subir à l’institution policière la douloureuse contradiction d’un discours politique présomptueux accompagné de moyens toujours plus modestes.

Un plan de recrutement rayée du programme pour cause de coupes budgétaires

La Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) n’a épargné aucune administration. Pourquoi aurait elle épargné la police et la gendarmerie ? Revenons un instant sur le pacte signé entre Nicolas Sarkozy et la police en juin 2004. Ce protocole d’accord, nommé « Corps et carrières », entérine 2 grandes orientations : « le recrutement conséquent de gradés et de gardiens ainsi que la déflation des corps de conception, de directions et de commandement » pour une police républicaine, déjà à l’époque, à bout de souffle.

Or, non seulement la RGPP viendra balayer d’un revers de main le plan « corps et carrières » de 2004 (10 000 postes supprimés d’ici 2012) mais des moyens accrus seront accordés aux directions générales au détriment des forces de l’ordre présentes sur le terrain. Et comme le rappelle Guy Geoffroy dans son avis sur la sécurité dans le cadre du projet de loi de finance 2010, cette réduction d’effectifs et des moyens policiers se fera en dépit de nouvelles missions qui lui sont affectées, « guerre déclarée à la délinquance » oblige.

Les gardes statiques (ou les tâches indues) sont des « tâches lourdes qui ne relèvent pas de la mission de la police Républicaine mais qui pèse d’un poids excessif sur son activité » comme l’explique le député du Finistère. Elles se déclinent en 3 catégories :

  1. La surveillance des lieux public
  2. L’assistance apportée à la justice (escortes de détenus)
  3. La protection des « personnalités de la République » dont les plus éminentes bénéficient déjà d’une protection personnelle allouée à vie.

Dans les rares cas ou ces prestations policières sont indemnisées par le Ministère donneur d’ordre, ces prise en charge ne donnent jamais lieu à la création de postes permettant de compenser les ressources consacrées à ces tâches indues. Cette amputation des moyens policiers est ancienne et connue. Mais sur ce sujet comme sur tant d’autres, la rupture n’a pas eu lieu : le confort de l’habitude l’emporteront sur le volontarisme affiché.

Le 93, déserté en dehors des « opérations coups de poing »

Existe-t-il une adéquation entre le déploiement des effectifs de police et le taux de délinquance constaté par zone géographique ? Selon Jean-Jacques Urvoas, cette adéquation ne se vérifie pas dans les faits. En isolant les chiffres des atteintes volontaires à l’intégrité physique ; le député constate que les 10 départements (hors Région Parisienne) concentrant près de 50% de ces actes de violence, ne peuvent compter que sur 35% des effectifs nationaux.

Plus marquant encore, le secrétaire national compare les taux d’atteinte aux personnes des départements des Hauts de Seine et de Seine Saint-Denis. Dans le premier, le taux est de 8,9%, dans le second de 19,2%. Or, les deux départements se sont vus attribuer le même nombre de policiers. Et si on se concentre sur les villes: Saint Denis, Saint Ouen, Aubervilliers et La Courneuve (dont le nombre de crimes et délits par an en moyenne pour 1000 habitants est 2 à 3 fois supérieur à la moyenne nationale) ne peuvent que constater une désertion des forces de l’ordre, entre deux actions « coup de poing » aussi spectaculaires que vaines.

Manque de considération, d’effectifs et de moyens : la pilule est amère et le grand écart difficile à tenir sur la durée pour les policiers, comme pour le chef d’état. Lors du récent mouvement social, on a vu des agents dans les cortèges. La frustration se ressent et même s’exprime dans les rangs de la police. Et pourtant… les critiques publiques des syndicats sont rares et mesurées.

Et pourtant… le dialogue social n’est pas rompu et le pacte entre « le premier flic de France » et les forces de l’ordre tient encore. Au prix de quelques ajustements financiers. Une revalorisation opportune et, certes, bienvenue  pour ces policiers éprouvés, mais qui n’apporte aucune réponse au besoin impérieux de réinvestir les territoires et ne règle en rien l’insoutenable contradiction entre discours et moyens en matière de sécurité publique.

Billet initialement publié sur Zeyes needs the blog sous le titre JJ Urvoas : “La police et la gendarmerie nationale sont les bonnes à tout faire de la République”.

Photo FlickR CC Antoine Walter ; Saly Bechsin ; David Foucher.

]]>
http://owni.fr/2010/11/22/la-police-victime-collaterale-des-coupes-budgetaires-securite-sarkozy-banlieue/feed/ 2