OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 D’où vient notre fascination pour les faits divers ? http://owni.fr/2011/04/27/fascination-faits-divers/ http://owni.fr/2011/04/27/fascination-faits-divers/#comments Wed, 27 Apr 2011 15:06:34 +0000 Cyrille Frank http://owni.fr/?p=59170 Les faits divers sordides semblent occuper une place croissante dans l’actualité, comme en témoignent la tuerie de Nantes, ou la disparition des jumelles suisses il y a quelques temps. Claire Sécail, chercheuse du CNRS confirme cette intuition pour ce qui concerne en tout cas le traitement de l’actualité en  télévision.

Mais il semble bien que les autres médias soient aussi de la partie. Pour Patrick Eveno, historien de la presse, interrogé par Rue89, il n ‘y a pas plus de faits divers qu’avant :

c’est la multiplication des canaux médiatiques qui explique le bruit médiatique beaucoup plus élevé autour des faits divers.

De fait, les journaux et pas seulement télévisés, n’hésitent plus à en faire la Une, reléguant les sujets internationaux ou de politique intérieure à une moindre place.

Cette hiérarchie de l’information glissante est dictée de toute évidence par des raisons économiques et de conquête d’audience. Mais le rôle des médias n’explique pas le succès des faits divers dont l’origine tient aux fonctions psychosociales majeures qu’ils remplissent.

1. Renforcer notre satisfaction existentielle

Nous éprouvons du plaisir à observer les souffrance ou le malheur des autres, car cela met en exergue notre situation privilégiée, par contraste. J’ai un boulot pénible, mais moins que cet ouvrier. Je suis peut-être fauché, mais au moins, je suis en bonne santé. J’ai des soucis professionnels, mais je ne suis la proie d’aucun drame majeur.

C’est l’un des ressorts essentiels du voyeurisme à l’œuvre dans les émissions de type “Bas les masques”, “Jour après jour” etc. De même est-ce l’un des facteurs du succès planétaire des fameux “Dallas” et autre “Dynastie”, comme le montre (entre autres choses) l’étude de Katz et Liebes dans les années 80. Les riches aussi souffrent, donc inutile d’envier ce monde d’argent finalement si malheureux, lui aussi.

Entendre les malheurs atroces qui touchent l’autre, c’est se rappeler qu’on a la chance de ne pas être soi-même une victime. Pour Michel Lejoyeux, professeur de psychiatrie à Bichat, c’est un mécanisme pour conjurer nos angoisses.

Une part non négligeable des informations que nous recherchons de manière générale a d’ailleurs pour but de conforter nos choix, nos valeurs, l’architecture mentale  que l’on s’est construit. D’où la difficulté à convaincre l’autre dans les discussions dont le but premier est surtout de renforcer son système primaire, comme le rappelle Aymeric. D’où la stratégie d’évitement des messages contraires à ses opinions préalables, à se convictions ou à ses choix.

De la même manière, une part du plaisir lié aux  films d’horreur consiste à se savoir précisément à l’abri. Idem pour la fascination vis à vis de ce qui est dangereux : les requins, les félins… Imaginer ou regarder ces souffrances atroces dont on ne sera jamais victime, c’est prendre conscience de la chance qu’on a, concrètement, physiquement… Il s’agit aussi un catalyseur d’angoisse – de là son succès auprès des ados -qui permet de la partager avec d’autres et de ne pas rester seul face à elle.

Fondamentalement selon Michel Lejoyeux, c’est la peur de la mort et “l’exigence sociale obsessionnelle de santé individuelle” qui explique cette fascination conjurationnelle pour la violence et les faits divers.

2. Éprouver une émotion à moindre coût

Par projection de soi, observer le malheur des autres, via la perte d’un être cher par exemple, c’est souffrir un peu soi-même, mais sans trop souffrir quand même. Nous éprouvons le sentiment potentiel de la douleur sans pâtir réellement de ses affres, ni en intensité, ni dans le temps. La tristesse est un sentiment qui n’est pas déplaisant, tant qu’il est mesuré et facilement réversible.

L’émotion, qui nous sort de nous même, nous déconnecte de la raison, par contagion affective est source de plaisir car elle nous fait lâcher prise, nous permet de nous laisser porter et de nous apitoyer sur nous-mêmes.

3. Célébrer notre égo

Oui, car à bien y réfléchir, notre propension à nous projeter en l’autre et à éprouver des sentiments de compassion n’est pas étranger à un certain égoïsme. À travers les malheurs de l’autre, c’est aussi soi-même que l’on pleure : quand je pense que cette famille nantaise pourrait être la mienne, quelle horreur…

L’empathie et la compassion ont finalement un lien assez fort avec l’égo, l’amour de soi. Ce qui n’est pas pour autant une critique dans la mesure où elles sont un premier pas vers la compréhension et l’amour d’autrui.

4. Se divertir

Les faits divers se prêtent particulièrement bien au story-telling de l’information, le feuilletonnage trépidant de l’actualité, avec ses mystères, ses rebondissements et l’épilogue espéré. Le cas de la disparition de la famille nantaise rassemble tous ces ingrédients qui nous maintiennent en haleine.

L’information devient fiction et nous divertit là encore, au sens de diversion qui nous éloigne des turpitudes et soucis de notre vie quotidienne.

5. Se socialiser

Le fait divers, en ce qu’il fait appel aux émotions et aux pulsions égotiques fondamentales (voir ci-dessus), intéresse tout le monde. C’est donc un sujet très efficace pour capter l’attention de son auditoire et susciter l’intérêt des autres.

Selon une étude britannique de 2006 [en, pdf] par ailleurs,  nous semblons être meilleurs narrateurs lorsque nous racontons des potins, des faits très socialisants. Nos informations sont alors plus précises, plus complètes et mieux décrites.

Mais quand bien ne serait-ce pas le cas,  nous avons moins besoin d’être efficaces, car l’attention de notre auditoire est déjà gagnée au départ par la simple nature du sujet. Le fait divers remplit donc une fonction sociale essentielle, de même que le potin people ou l’insolite.

Les médias, en s’appuyant sur des ressorts psychologiques puissants, accentuent sans nul doute le phénomène, davantage qu’ils ne l’expliquent. Dans leur course à l’audience, ils flattent les instincts naturels de leur audience. Il faut se demander cependant si cela n’a pas pour risque d’augmenter l’accoutumance et la désensibilisation émotionnelle. C’est à dire le besoin d’augmenter l’intensité du stimulus pour obtenir le même effet. En d’autres termes, relater des faits divers de plus en plus sordides ou spectaculaires pour maintenir l’attention du public ?


Article initialement publié sur le blog de Cyrille Franck Médiaculture

Crédit Photos Môsieur J. ; Steven Jambot

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Cyberpatrouille en quête de faits div’ chauds bouillants http://owni.fr/2010/11/21/cyberpatrouille-en-quete-de-faits-div-chauds-bouillant/ http://owni.fr/2010/11/21/cyberpatrouille-en-quete-de-faits-div-chauds-bouillant/#comments Sun, 21 Nov 2010 13:11:43 +0000 geoffrey bonnefoy http://owni.fr/?p=35972 Leur bureau sort de l’ordinaire. Une voiture quatre places toute équipée : ordinateur portable, connexion internet en 3G, GPS et huit scanners branchés sur les fréquences des pompiers, ambulanciers et policiers de Montréal, au Canada. Hugo Meunier et Patrick Sanfaçon sont deux journalistes du quotidien montréalais francophone La Presse, et de son site internet cyberpresse.ca. Ils couvrent les faits divers de la ville en temps réel, à l’écoute des fréquences radios des services d’urgence. Incendies, meurtres, accidents de la route, ils offrent une couverture quasi-instantanée aux lecteurs du site. Un pied IRL, l’autre URL.

Cyberpresse.ca, ce nom vous dit peut-être quelque chose. Le site canadien était, en octobre, un des trois finalistes avec OWNI.fr pour le prix General Excellence in Online Journalism, Non-English, Small Site, délivré par l’Online News Association, prix remporté par OWNI.

« Les faits divers sur le web, ça marche »

Grâce à une clé 3G, il est possible d'accéder partout à Internet.

Depuis son arrivée au quotidien La Presse en 2005, Hugo Meunier, 32 ans, travaillait essentiellement sur les faits divers. « Je me suis vite rendu compte que l’information publiée dans le journal du lendemain était souvent périmée, déjà reprise en boucle par les chaînes d’information en continu. Alors, j’ai lancé l’idée de créer des patrouilleurs, qui couvriraient les faits divers en temps quasi-réel sur le web. »

À l’automne 2008, il fait sa première patrouille avec Patrick Sanfaçon, 38 ans, dans une voiture qu’ils ont eux-même équipée. À l’intérieur, l’atmosphère est surréaliste. Les deux journalistes baignent dans un enchevêtrement de fils, une armée de boutons et d’écrans et surtout un flux sonore ininterrompu. « Écouter les conversations des policiers et des pompiers, c’est possible au Canada car la diffusion se fait majoritairement sur le réseau public ; peu de villes utilisent un réseau crypté, précise Patrick. De ce fait, n’importe qui avec un minimum de connaissances techniques, peut écouter ces radios. Il y a des nerds qui nous envoient des infos par mail à 3 heures du matin car ils ont entendu parler d’un incendie à l’ouest de la ville », explique-t-il. « On n’arrête jamais les radios, renchérit Hugo. Avec l’habitude, on ne fait plus attention à tous les bruits parasites. Mon cerveau est programmé pour tiquer sur certains mots-clefs. La force des faits divers, c’est d’être à l’affût. »

Arriver les premiers, parfois avant l’ambulance

Un code « 27D1 » crachouillé d’un haut-parleur – utilisé par la police municipale pour décrire un fait impliquant une arme à feu –  et la patrouille se met en branle. Pour rien, pour un vrai fait-divers, « mais on va toujours vérifier quand on a entendu une info ». Aller vite, arriver les premiers sur place, c’est leur leitmotiv. Parfois même, avant l’ambulance.

Tout va ensuite très vite. Entre services d’urgence qui arrivent, témoins et même victimes parfois encore sur place, il faut interroger avec tact et diplomatie. « Je me revois plusieurs fois interroger les personnes sur place, écrire ma breaking news sur mon smartphone, assise sur le trottoir et l’envoyer à La Presse avec les photos », explique Daphné Cameron, qui remplace ponctuellement Hugo ou Patrick quand ils sont en formation ou en congés. « Le tout, en continuant de jeter des coups d’oeil un peu partout pour voir comment les choses évoluent ». Au siège, la nouvelle est relue par les secrétaires de rédaction, mise en page puis en ligne.

Évidemment, les faits-divers sur le web, ça marche. En cas de grosse affaire, comme tout récemment, l’assassinat de Nicolo Rizzuto, « la barre des connexions s’envole », s’enthousiasme Hugo. « Le web est adapté au traitement des faits-divers : on met les 5W – l’essentiel de l’info, Who, What, Where, When Why – pas plus, avec des témoignages recueillis sur place et on met à jour régulièrement. Dans le journal du lendemain, on va plus loin dans le traitement du fait-divers. Plus d’analyse, des dossiers ou des chroniques. »

Prudence avec les réseaux sociaux

Avec 400 followers sur Twitter et 470 fans sur Facebook, la présence des patrouilleurs sur les réseaux sociaux est symbolique, et leur utilisation prudente. « Cela nous sert avant-tout à diffuser notre travail, explique Hugo. Rien n’est mis sur les réseaux sociaux avant d’être publié sur notre site. Si j’entends une info sur la fréquence des flics, je ne vais pas la mettre sur Twitter et alerter les concurrents ». Et se faire griller un scoop.

Diffusion, mais aussi recherche. Facebook est un excellent moyen pour compléter ses informations. « Toute les personnes rencontrées où concernées par un fait-divers, je vérifie sur les réseaux sociaux si elles y sont. Suivant les paramétrages de confidentialité, je peux connaître ses relations, le nom de son ancien collège ou lycée, ses employeurs, etc. Si j’ai besoin de précisions sur une adresse, je vérifie sur le site des pages jaunes », précise Daphné.

Les patrouilleurs circulent toute la semaine, été comme hiver. Cette dernière qui approche, avec son lot de températures négatives et ses centimètres de neige est signe, pour les deux journalistes, de complication des conditions de travail. Mais qu’importe. Ils aiment leur métier. « Je suis accro à la breaking news. Être le premier sur place, c’est très stimulant », conclut Patrick Sanfaçon.

Images CC Flickr Geoffrey Bonnefoy

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