OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La réinvention du socialisme http://owni.fr/2010/02/19/la-reinvention-du-socialisme/ http://owni.fr/2010/02/19/la-reinvention-du-socialisme/#comments Fri, 19 Feb 2010 16:35:38 +0000 Thierry Crouzet http://owni.fr/?p=8383

Nous sommes encore libres, nous avons le pouvoir d’éviter le pire. Et si le pire advient, nous ne devrons nous en prendre qu’à nous-mêmes, car nous serons les seuls responsables. Nous étions prévenus. Je vais vous prévenir une nouvelle fois.

Imaginez que des hommes d’égal niveau d’éducation se retrouvent à bord d’un vaisseau spatial et débarquent sur une nouvelle planète. Quel monde y construiront-ils ? Un monde de liberté, d’égalité, de fraternité ou un monde qui ressemble au nôtre, avec ses hiérarchies, ses inégalités, ses structures d’autorités ?

De nombreux auteurs de science-fiction se sont posé la question, notamment Kim Stanley Robinson avec sa trilogie martienne. Comment savoir ce qui se passerait vraiment ? Faute d’avoir découvert une nouvelle planète à coloniser, nous pouvons considérer Internet comme un nouveau territoire. En étudiant son histoire, on peut en tirer quelques enseignements quant à notre actuelle maturité politique.

La hiérarchisation des hominidés

Tout d’abord, je voudrais revenir sur l’origine des structures d’autorité. Parmi les peuples premiers, certains sont non hiérarchiques et ne disposent même pas de l’impératif dans leur langage ou de verbes comme devoir. Ont-ils perdu les hiérarchies au cours de leur histoire ou les sociétés humaines ont-elles commencé par être non hiérarchiques ?

Les anthropologues penchent vers cette seconde hypothèse. Chez de nombreux mammifères, chez les loups ou les singes, il existe souvent des mâles dominants, mais pas à proprement parler de hiérarchie.

Le mâle dominant ne peut pas être considéré comme le chef de la horde. Il s’approprie les femelles qui l’intéressent, mange en premier, indique quand il est temps de se déplacer… Il manage par l’exemple sans donner d’ordre à ses congénères. Rien ne les empêche de tenter leur chance en solitaire ou d’aller former une nouvelle horde.

Dans l’histoire humaine, les premières hiérarchies apparaissent semble-t-il autour de -75 000 ans. Cet évènement aurait coïncidé avec l’invention des vêtements, qui avaient non pour but de réchauffer ou d’accroître le confort, mais d’affirmer le statut social.

Difficile de faire de l’archéologie ethnographique aussi loin dans le temps. On est sûr d’une chose en revanche : les hiérarchies s’imposent quand les hommes se sédentarisent (le pouvoir hiérarchique devient en quelque sorte juridique).

Les hiérarchies ont pour avantage de réduire les coûts de transaction comme en fit la démonstration Ronald Coase. Des structures d’autorités se forment alors. Ceux qui possèdent la terre, ceux qui possèdent du bétail, bientôt ceux qui possèdent d’autres hommes.

D’un monde primitif relativement horizontal, nous passons à des sociétés de plus en plus verticales. Nous basculons de la décentralisation à la centralisation.

La hiérarchisation de l’évolution

Ce ne fut pas une première dans l’histoire du vivant. L’évolution biologique n’a pas commencé par être darwinienne, c’est-à-dire verticale, avec des parents qui transmettent leurs gènes à leurs enfants au prix de quelques mutations.

Avant l’existence des parents, il y avait déjà de la vie. Il fallait bien un mécanisme pour transmettre les gènes. Ils circulaient alors horizontalement, d’individus en individus non apparentés, parfois d’espèces différentes.

Des scientifiques comme Carl Woese et Nigel Goldenfeld montrent que la théorie hiérarchique de Darwin est ainsi incapable d’expliquer l’apparition du code génétique lui-même. Elle ne se met en place qu’après plusieurs milliards d’années d’une évolution horizontale, évolution toujours active aujourd’hui.

Ainsi la vie aurait elle aussi basculé d’une époque dominée par l’horizontalité à une époque dominée par la verticalité, surtout chez les êtres les plus complexes.

La verticalisation, la hiérarchisation, la centralisation sont-elles inévitables et irréversibles ? C’est une question importante. Si tel est le cas, si nous colonisons un nouveau monde, nous y recréerons nécessairement des hiérarchies et des structures de domination. Si nous inventons un nouveau territoire, Internet, nous y reproduirons les pouvoirs millénaires avec tous leurs travers.

La décentralisation

Sommes-nous condamnés à une stagnation politique ? Avons-nous atteint structurellement la fin de l’histoire sociale ? De tout temps, les conservateurs ont pensé ainsi. Pour eux, au XVIIIe siècle, la société ne pouvait fonctionner sans esclaves, les hommes devaient dominer les femmes, les enfants devaient travailler… Il était impossible de remettre en cause les structures d’autorités existantes qui apparaissaient comme des fatalités que l’on attribuait à la nature humaine.

Mais qu’en est-il de cette nature humaine ? Avons-nous toujours tendu vers plus de hiérarchie ? Si tel était le cas, nous vivrions partout sous des dictatures implacables. Il n’en va pas ainsi parce que des individus qui résultent d’une évolution hiérarchique peuvent néanmoins développer des comportements non hiérarchiques.

Je ne vais pas donner d’exemples chez les animaux pour ne pas être accusé de comparer les hommes aux bêtes, même si celles-ci ont encore beaucoup de choses à nous apprendre.

Regardons nos villes. Bien que devenues des centres d’autorité, elles ne se sont pas moins développées le plus souvent suivant des principes horizontaux. Parfois elles furent fondées à la règle et à l’équerre, mais, au cours du temps, et cela toujours assez vite, elles adoptèrent des formes plus organiques.

Quand les scientifiques cherchent à reproduire l’évolution de ces villes en simulation, ils constatent que les modèles hiérarchiques n’expliquent pas leur structure. Nous devons imaginer que les hommes respectent une poignée de règles et bâtissent en fonction d’elles. Dès qu’on étudie les villes dans une durée supérieure au siècle, on constate qu’elles résultent avant tout d’un processus d’auto-organisation typiquement non hiérarchique. Et nos villes ne sont-elles pas parmi nos réalisations collectives les plus impressionnantes ?

Les victoires anarchistes

Il semble donc exister deux mouvements historiques : l’un pousse à la centralisation et à la création de structures d’autorité, l’autre à la décentralisation et à la destruction des structures d’autorité qui ne font pas leur preuve.

Noam Chomsky qualifie d’anarchiste cette seconde tendance. L’anarchie, suivant cette définition, n’est pas contre toutes les structures d’autorité, mais contre celles qui ne se justifient pas, ou plus.

Les hommes ont longtemps constitué une structure d’autorité sur les femmes. Des siècles de lutte ont vu quelques progrès, preuve que l’ont peut affaiblir cette structure d’autorité, et sans doute finir par l’éradiquer.

Les esclavagistes constituaient eux aussi une structure d’autorité. Des hommes l’ont abattue. Ils ont inventé le salariat, une forme de dépendance moins dégradante, qui a créé une nouvelle structure d’autorité, celle des patrons.

À leur tour, les socialistes ont rêvé de supprimer cette nouvelle structure d’autorité (je parle des véritables socialistes du XIXe siècle). Ils ont à ce jour échoué, ce n’est pas pour autant qu’ils échoueront toujours.

Bill Joy a montré que le modèle hiérarchique ne réduisait les coûts de transaction que dans un monde faiblement technologique. Quand les coûts de communication s’effondrent, on peut travailler où l’on veut, donc aussi hors des hiérarchies qui ne présentent plus d’avantages en terme de coût, mais uniquement en terme de pouvoir et deviennent de fait des structures d’autorité inutiles.

La guerre éternelle

Existe-t-il une tendance humaine vers la diminution du nombre des structures d’autorité ? Rien n’est moins sûr. Le salariat remplace l’esclavage. L’instruction remplace la noblesse de sang. Les banquiers s’arrogent le pouvoir de créer de l’argent.

Il y aurait plutôt une lutte continuelle entre les autoritaires et les anarchistes, entre les centralisateurs et les décentralisateurs. Ils se livrent une guerre éternelle. Doit-on choisir son camp ? En théorie, on peut être pour la décentralisation dans un domaine et pas dans un autre.

Toutefois, il me semble que nous devons entre les deux tendances nous positionner (et il ne peut sans doute exister plus de deux tendances politiques dominantes). N’oublions pas dans notre réflexion de considérer l’esclavagiste comme un centre pour les esclaves, l’homme comme un centre pour les femmes aliénées, le patron comme un centre pour les salariés… Alors les centres sont-ils nécessaires ? Et quand le sont-ils vraiment ?

Pour ma part, je penche vers l’anarchisme, estimant que le salariat doit être aboli, que le pouvoir de créer l’argent doit être réparti entre tous, que les pouvoirs subsistants doivent être jalousement séparés pour éviter les collusions… Nous devons interroger toutes les structures d’autorité et questionner leur légitimité.

Sans être aussi extrémiste que moi, on peut néanmoins sentir les deux tendances s’opposer dans notre société. Elles réveillent des forces souterraines et cataclysmiques.

Pourquoi cataclysmiques ? Parce que, quand la complexité augmente, la décentralisation s’impose. La raison est toute simple : pour faire face à la complexité, il faut de plus en plus d’intelligence. La seule manière de l’augmenter est de la laisser s’exprimer partout. On ne doit pas attendre l’aval de la hiérarchie avant d’expérimenter (une hiérarchie est moins intelligente et pas plus informée que sa structure sous-jacente).

Dans un monde qui se complexifie, les anarchistes devraient donc logiquement s’imposer peu à peu. Toutefois, les centralisateurs défendent leurs privilèges. Même quand la complexité augmente, ils tentent d’imposer la centralisation, ce qui implique inévitablement une réduction de la complexité.

Cette réduction peut prendre de multiples formes. Moins de gens pour interagir (stratégie de réduction de la population). Moins de liberté pour interagir (dictature avec contrôle des déplacements). Moins de technologie pour interagir (jihad Bultérien imaginé par Frank Herbert – avec disparition de la liberté d’expression). Cette liste pourrait s’étendre indéfiniment : épuisement des ressources naturelles, crises climatiques, récession économique durable… Nous ne serions capables de résoudre ces problèmes complexes que par la voie de la simplification catastrophique.

Nous serions alors forcés de renoncer à ce qui fait la richesse de nos vies (si ce n’est à nos vies même). Il ne s’agirait pas de sacrifier des choses accessoires, les gadgets inutiles du consumérisme, mais aussi tout ce qui fait le propre d’un monde complexe, les interactions à grande échelle, aussi bien celles qu’autorisent les voyages que les nouvelles technologies par exemple.

Un monde moins complexe nous pousserait à revenir à un stade antérieur de l’humanité, un stade pas nécessairement plus durable vu dans quel état nous avons mis le monde. Il n’y a d’avenir pour l’homme que dans la course à la complexification – une complexification culturelle.

Internet stigmatise les antagonismes

Que se produit-il sur Internet ? Nous avons construit une nouvelle planète où nous avons minimisé les structures de pouvoir. Pendant trente ans, nous nous sommes développés horizontalement, mais, aujourd’hui, les forces centralisatrices, un temps dominées, reviennent sur le champ de bataille. Les loups veulent se repaître du fruit de notre travail collectif.

Pour commencer, les gouvernements tentent de reprendre le contrôle, c’est-à-dire de réintroduire des hiérarchies là où elles n’existaient pas. Ils ne voient pas d’un bon œil que nous puissions échanger en direct des informations entre nous. Sous prétexte que nous pouvons échanger des informations piratées, ils imaginent des solutions de filtrage capables de nous empêcher simplement de communiquer.

Mais n’accablons pas les gouvernements. Ils ne sont pas nos plus dangereux adversaires. Ne cherchons pas d’autres responsables que nous-mêmes. C’est nous qui créons les véritables nouvelles structures d’autorité, des structures transnationales que sont Google ou Facebook par exemple. Nous les créons en plébiscitant les services centralisés de ces entreprises au profit des solutions décentralisées pourtant à l’honneur depuis le début d’Internet.

Quand je dis nous, je m’adresse surtout à ceux qui utilisent ces services en oubliant qu’il en existe d’autres. Quand vous parlez à certaines personnes de ce que vous avez vu sur Internet, ils vous demandent « C’est où sur Facebook ? » Pour une grande majorité d’internautes, Internet se résume à Facebook. Par ailleurs, bientôt la navigation ne s’effectuera plus qu’à travers Google et les liens hypertextes dans les pages ne seront plus utilisés.

Bien sûr ces services proposent aujourd’hui des avantages qu’aucune autre plate-forme ne confère. C’est confortable d’aller chez eux. Mais dites-vous bien que vous êtes en train de vous soumettre à de nouvelles structures d’autorités, des structures qui à ce jour n’existaient pas encore sur Internet… des structures que vous renforcez de jour en jour en même temps que la concurrence agonise.

La dictature est souvent confortable. Vous n’avez plus de question à vous poser. D’autres pensent pour vous et vous disent ce que vous devez faire. Je noircis le tableau, mais n’oublions pas que, quand nous donnons du pouvoir, il y a toujours des hommes pour se l’approprier. Ne leur facilitons pas trop la tâche, nous ne pourrions que nous en mordre les doigts.

Vous pouvez certes estimer qu’un tel monde hiérarchique est préférable à un monde horizontal, en apparence déstructuré, sans ligne claire, sans une direction unique imposée à tous… Vous êtes encore libres d’effectuer ce choix. J’use pour ma part de ma liberté pour travailler à un autre monde, celui que j’ai connu sur Internet quand tout était possible et que les structures d’autorité n’attiraient pas tous les internautes comme des mouches.

Ne croyons pas que le jour venu nous nous détournerons de ces structures avec facilité. Repensons aux esclaves ou aux femmes aliénées. Une fois une structure d’autorité installée, elle se défend jusqu’à la mort.

Cette défense implique un renforcement de la centralisation, une diminution concomitante de la complexité, donc de l’intelligence générale du système. L’innovation n’est plus au rendez-vous. Il n’y a plus de place pour d’autres en dehors. On se retrouve avec des centres de puissance qui ont tendance à entrer en guerre. D’ouvertes, les frontières se referment peu à peu.

Apple a inauguré depuis longtemps ce repli vers les solutions propriétaires. Google et d’autres développent le même travers, notamment dans le domaine de la téléphonie.

Nous qui penchons vers l’anarchisme, allons-nous laisser ce processus se développer ? Allons-nous laisser les structures d’autorité reprendre ce que nous avions un temps réussi à acquérir ? La liberté de publication. Le droit à l’anonymat. La coopération. L’open source. La hackabilité.

Toutes ces victoires, toutes ces structures d’autorité que nous avons dynamitées risquent bientôt de ressurgir. Sommes-nous à l’aube d’un nouveau balancement vers la centralisation ? Parfois même les écologistes appellent un tel revirement au nom de la protection de l’environnement. Les appels à la centralisation se généralisent. Toutes les raisons sont bonnes. Les crises et la nécessité des mesures d’austérité ont bon dos. Si seulement les hiérarques s’appliquaient l’austérité à eux-mêmes pour commencer.

Je n’ai pas envie de vivre dans leur monde. L’anarchisme doit être réhabilité comme la principale force de progrès de nos civilisations. Nous ne devons pas nous contenter de développer de nouvelles technologies, mais diriger ce développement dans un sens qui réduit les structures d’autorité. Nous en avons les moyens. Nous devons nous battre sur ce terrain de bataille politique.

La centralisation catastrophique

Le socialisme n’a jamais été appliqué. Jamais les gens qui s’en revendiquèrent n’ont fait disparaître les structures d’autorité. Ils les ont au mieux remplacées, souvent par des machineries monstrueuses comme en URSS. Le socialisme est devenu une machine centralisatrice. Il a remplacé Dieu par l’État. On est passé d’un opium du peuple à un autre, c’est tout.

Regardez ce qu’est devenu le socialisme dans un pays comme la France. Comment cherche-t-il à secourir les plus défavorisés ? Il ne remet en cause aucune des structures d’autorité qui engendrent les inégalités (ce qui est le propre d’une structure d’autorité puisque certains sont en haut de la pyramide et d’autres en bas).

Les socialistes ne voudraient qu’une seule compagnie ferroviaire, qu’un service postal, qu’un fournisseur d’énergie… Ils voudraient renforcer les structures d’autorité qui n’ont au cours de l’histoire d’autres fins que d’asservir les hommes. Est-ce cela le socialisme ?

Pour installer le revenu de vie, nous devons décentraliser la création monétaire. Pour célébrer la dignité humaine, nous devons décentraliser le travail, transformer le salariat en un nouvel artisanat. Pour garantir la liberté d’expression, nous devons continuer à créer des blogs indépendants et ne pas nous enfermer dans des plateformes totalisantes.

Nous ne devons nous définir comme des anarchistes, intégrant dans nos rangs les déçus du faux socialisme.

Alors nous apprendrons à produire nous-mêmes notre énergie, nos informations, nos infrastructures… Nous cesserons d’être soumis aux structures d’autorité qui n’ont plus aucune raison d’exister dans un monde devenu technologique.

Mais prenons garde. Il ne s’agit pas de détruire aveuglément toutes les structures d’autorité, mais seulement celles qui nous aliènent, celles qui n’ont plus de raison d’être. Je milite pour un anarchisme modéré tel que le définit Chomsky.

Quand les libéraux, ceux qui se prétendent tels, veulent détruire les services publics, ils ne cherchent pas à détruire des structures d’autorité, mais simplement à les déplacer vers le privé, à les ramener dans leur escarcelle. Ils agissent comme les communistes en URSS. Les libéraux n’ont jamais été anarchistes. Ils exigent la liberté de créer librement des structures d’autorité. Nous devons au nom de la liberté nous battre également contre eux.

> Article initialement publié sur Le peuple des connecteurs

> Image d’illustration de une jef safi sur Flickr

]]>
http://owni.fr/2010/02/19/la-reinvention-du-socialisme/feed/ 1
Anarchisme : la force d’émancipation sociale http://owni.fr/2010/02/15/anarchisme-la-force-d%e2%80%99emancipation-sociale/ http://owni.fr/2010/02/15/anarchisme-la-force-d%e2%80%99emancipation-sociale/#comments Mon, 15 Feb 2010 16:29:21 +0000 Thierry Crouzet http://owni.fr/?p=8229

Dans un opuscule intitulé Raison contre pouvoir, le pari de Pascal, Jean Bricmont interviewe Noam Chomsky. Il lui demande notamment « N’est-il pas vrai que toutes les formes d’auto-organisation selon les principes anarchistes se sont finalement effondrées (pensez aux diverses communautés dans les années 1960 et 1970, mais il y a aussi des expériences antérieures) ? »

Avec un raisonnement semblable, on aurait pu conclure au XVIIIe siècle que les tentatives d’établir la démocratie politique ou d’abolir l’esclavage ou de protéger les droits des femmes ou bien… ayant toujours échoué, pourquoi alors devrions-nous même essayer de promouvoir la paix et la justice et les droits de l’homme ? demande Chomsky. C’est là à coup sûr un piètre argument. […] Je suis aussi en désaccord avec l’observation historique que vous faites. Il n’y a pas de « principes anarchistes » fixes, une sorte de catéchisme auquel il faudrait prêter allégeance. L’anarchisme, du moins tel que je le comprends […] est une tendance de la pensée et de l’action humaine qui cherche à identifier les structures d’autorité et de domination, à les appeler à se justifier, et, dès qu’elles s’en montrent incapables (ce qui arrive fréquemment), à travailler à les surmonter. Loin d’avoir « échoué », l’anarchisme se porte très bien. Il est à la source de beaucoup de progrès – très réels – des siècles passés, y compris depuis les années 1960 et 1970. Des formes d’oppression et d’injustice qui étaient à peine reconnues, et encore moins combattues, dans un passé récent, ne sont plus considérées aujourd’hui comme tolérables.

Exemple d’une de ces luttes nouvelles dont j’ai parlé récemment, la bataille pour le revenu de vie. Nous avons identifié chez les banquiers une structure d’autorité et de domination que nous nous devons d’éradiquer en distribuant leur pouvoir de création monétaire entre les mains de tous (ce n’est pas plus fou qu’abolir l’esclavage).

Internet est en train de nous permettre de distribuer la liberté d’expression entre tous alors que jadis seule une minorité se l’arrogeait. Cette bataille, cette décentralisation, est loin d’être achevée. Elle ne fait même que débuter, mais il s’agit bien d’un projet anarchiste au sens où le définit Chomsky et dans lequel je ne peux que me reconnaître.

En ce moment, nous ne cessons d’identifier les structures d’autorité et de domination. C’est tout le problème pour les autorités en place. Nous contestons la production d’énergie centralisée, la distribution alimentaire centralisée, l’éducation centralisée, l’expertise centralisée… L’anarchisme n’a jamais été aussi vivant. Il le sera tant que le capitalisme ne sera pas vaincu, le capitalisme étant une structure d’autorité et de domination extraordinaire.

Toutes les contestations ont cela de particulier qu’elles peuvent s’exercer dans le cadre de forces politiques traditionnelles, mais, surtout, à titre individuel. Par le passé, il était difficile de se batte seuls contre les puissants. Quelques riches propriétaires l’ont fait contre l’esclavage, mais avec difficulté. Aujourd’hui, chacun à notre niveau pouvons agir parce que les nouvelles technologies démultiplient notre puissance d’action.

Nous commençons aussi à comprendre que les partis eux-mêmes sont des structures d’autorité et de domination. Alors nous ne pouvons pas nous engager dans ces structures pour lutter contre des structures de même nature. Cela reviendrait à déplacer éternellement le problème sans réellement le régler.

Il ne s’agit pas nécessairement d’agir seul mais de se lier dans des TAZ qui sauront mener un combat de guérilla et se redessiner en fonction des circonstances et des besoins.

Ne nous leurrons pas. Depuis toujours les structures de pouvoir et de domination défenbent leurs privilèges jusqu’à la mort dans une guerre millénaire. Les forces anarchistes gagnant peu à peu du terrain tout en partant de très loin.

Internet peut apparaître comme une victoire incontestable des forces libres. Le réseau pensé par des hommes libres, tant bien même ils travaillaient pour l’armée américaine, est l’arme la plus fantastique dont n’ont jamais disposé les anarchistes.

Leurs adversaires de toujours ont fini par le comprendre. Au début, ils se sont laissés berner par les possibilités économiques du réseau. Maintenant, ils réagissent. Plus rien ne les arrête.

Le Web est aux mains de quelques puissantes entreprises : Google, Facebook… qui ont réussi à virtuellement recentraliser le réseau et à en phagocyter la créativité. Les gouvernements, ces centres de domination, peuvent dès lors appliquer un contrôle de plus en plus drastique sur la part du réseau qui se joue hors de ces acteurs « officiels ». Une nouvelle bataille commence. Une nouvelle guerre de Sécession.

Choisissez votre camp.

Préparez-vous à passer outre les barrages que plus aucune raison économique n’empêche de dresser maintenant que le Web tend à se structurer comme un pouvoir traditionnel.

Et n’oubliez pas que la plus grande structure créée par l’humanité, celle qui lie aujourd’hui 2 milliards d’humains, Internet, est le fruit d’un fantastique processus d’auto-organisation. Quelques règles fécondes, TCP/IP par exemple, ont été adoptées et le réseau a bourgeonné à partir d’une multitude d’initiatives publiques, privées et individuelles. Nous pouvons vivre en minimisant les structures d’autorité et de pouvoir. Et celles qui subsistent sur Internet, comme les serveurs racines, peuvent elles aussi être éradiquées.

» Billet initialement publié sur Le peuple des connecteurs

» Photo d’illustration macwagen

À lire sur le même thème, L’insurrection des anarnautes ou le sursaut de la raison sur Nuesblog

]]>
http://owni.fr/2010/02/15/anarchisme-la-force-d%e2%80%99emancipation-sociale/feed/ 2
La si forte demande de démonétisation de l’espérance http://owni.fr/2009/10/04/la-si-forte-demande-de-demonetisation-de-lesperance-apres-le-capitalisme/ http://owni.fr/2009/10/04/la-si-forte-demande-de-demonetisation-de-lesperance-apres-le-capitalisme/#comments Sun, 04 Oct 2009 12:36:23 +0000 Nicolas Voisin http://owni.fr/?p=4182 La France de Maastricht était anti-élites. Celle de la Votation, contre la privatisation de la Poste et pour un referendum citoyen, est “anti-pognon”. Puisqu’il fuit, détestons-le.

image-9

Les rurbains ont bobo à la cité : Le nouveau front contestataire en France comme en Europe n’est pas anticapitaliste mais anti-précarité et anti “bling-bling” à la fois. Duels et paradoxaux, inquiets (terrifiés) déçus (terriblement déçus) et populistes (en diable) l’essentiel des contestataires n’en sont pas moins consuméristes. L’insurrection, qui ne vient pas mais fait de plus en plus jour dans la société, est moins anarchiste et “de gauche” que sociétale (sans projet de société clair) sociale (de moins en moins sereine matériellement) et écologique (mais refusant la culpabilisation et consciente de son égoïsme).

Le paradoxe écologique est à ce sujet représentatif : pour sauver le bien commun il faut lui donner une valeur marchande, ce qui est une perte de valeur(s). L’aspiration soufflée par le Surmoi (très fort) de la société européenne, également caractérisé par les dernières séquences politiques en France, est à la démonétisation de l’espérance. La demande est forte à défaut d’être claire. En face l’offre, si faible, n’est que “gagner plus”. Autant dire mensonges ou vacuité.

L’heure est aux inégalités croissantes (vues de tous, partout, tout le temps, en temps réel). Payer les élèves pour qu’ils aillent en cours, ou transformer la Poste en SA est l’illustration nationale (après tant d’autres) de ce grave faux-pas… En monétisant ce qui ne l’était pas, l’offre politique de notre représentation publique fait le pas de trop, sans que leurs éprouvettes n’aient encore su leur avouer.

La demande de démonétisation de l’espérance est si forte qu’elle porte en elle, par delà les clivages politiques ou nationaux, le cœur du projet à mener.

Article initialement publié sur Nuesblog / Image issue de ce court-métrage, diffusé sur Owni /-)

]]>
http://owni.fr/2009/10/04/la-si-forte-demande-de-demonetisation-de-lesperance-apres-le-capitalisme/feed/ 0
L’insurrection des anarnautes ou le sursaut de la raison http://owni.fr/2009/08/17/linsurrection-des-anarsnautes-ou-le-sursaut-de-la-raison/ http://owni.fr/2009/08/17/linsurrection-des-anarsnautes-ou-le-sursaut-de-la-raison/#comments Mon, 17 Aug 2009 12:12:06 +0000 Nicolas Voisin http://owni.fr/?p=2377

Je suis un Anarchiste !

Mais qui ici sait réellement ce qu’est l’anarchisme ? Mes sens, mon essence, mon chemin de vie m’ont convaincu de la pertinence d’un anarchisme rationaliste et humaniste, écologique – voir bio-logique, ma primo-intuition adolescente – et technologique, fédéraliste et relocalisé bien que global (dans son aspiration et le périmètre de son inspiration) individualiste mais collectif (”bottom-up”, on y reviendra), syndicaliste et économique (et non socialiste, mot dont l’étymologie elle-même est un mensonge), libertaire, forcément libertaire voire en certains points libérale si l’on entend ce terme à son sens premier, mais aussi démocratique et républicain.

Oui, la “chose publique” et le “pouvoir au/du peuple” sont parties prenantes fondamentales de cette réflexion, tout comme la quête de loyauté, qui tend à promouvoir et à défendre une croissance des libertés, de l’égalité et de la fraternité – dusse-t-elle être solidarité par pragmatisme ou par défaut – c’est à dire une forme satisfaisante et jusqu’ici jamais atteinte de justice sociale (ou d’une société juste).

L’anarchisme n’est pas le refus de l’Etat, de la propriété ou de l’autorité. C’est tout au contraire une haute exigence de justice en ces points précis en particulier. Et notamment concernant l’éducation ; une éducation qui forme et accompagne des individus libres, respectueux de la liberté d’autrui, capable d’évoluer et de se renouveler, dont l’indépendance intellectuelle serait la plus grande force, pas des travailleurs résignés et des techniciens au dos courbés. La possession n’est pas la seule propriété. L’Etat, enfin, peut être un rempart contre lobbys et multinationales aveuglées par l’appât du gain, toujours plus pressant – notre présent nous le rappelant avec insistance. L’anarchisme est aussi amour de la nature, de la culture, sans être – il est nécessaire de faire tomber deux-trois idées reçues à ce stade – une forme d’intolérance. Loin, très loin s’en faut.

Ni Dieux, ni Maîtres. Plus d’Être.

C’est Prévert qui conclue à sa façon cette sentence : “plus d’être”. Et à raison. Contre les dérives du marché et celle d’un capitalisme d’inégalité croissante, contre les bureaucraties, rouge, rose, blanche ou bleu, quelque en soit les dégradés, contre un centralisme jacobain stérile et abscons, chez nous diablement excessif, quand il n’est pas tout simplement suicidaire et nauséabond. “Le pouvoir est maudit. Voilà pourquoi je suis anarchiste” clamait Louise Michel.

“Il y a d’autres ordres possibles que celui qu’impose une autorité” précise Normand Baillargeon dans une lumineuse somme de 200 pages, éditée et rééditée ces dernières années sous le titre “l’ordre moins le pouvoir, histoire et actualité de l’anarchisme” (Editions Agone, 4° édition disponible en librairie au prix de 10€ / nb: “l’ordre moins le pouvoir” est une formule que l’on doit à Léo Ferré. C’est une trop courte mais lumineuse définition de l’anarchisme).

Mais comment comprendre ceci sans admettre que le salariat est la forme la plus aboutie de l’esclavage ? Comment admettre cela sans s’avouer que l’on est victimes consentants d’une pseudo-dictature de pédants ?

L’ordre est la fille de la liberté. C’est l’atteinte aux libertés et à une forme d’égalité sociale vertueuse qui créé désordre, misère et conflits. L’ordre n’est et ne sera jamais mère de la liberté. Plus d’être… Opposez cela au “travailler plus pour gagner plus”, c’est regarder dans le blanc des yeux le consumérisme avéré de ceux qui nous gouvernent. Contre toutes nos traditions. Contre toute vision à long terme. Contre toute forme d’humanisme.

De Diogène à Internet écosystème.

“ôte-toi de mon soleil” s’écriait le sage qui nichait dans un tonneau en réponse à Alexandre le Grand qui lui proposait de lui offrir tout ce qu’il aurait pu désirer. J’ai le sentiment que nous, internautes, allons encore scander souvent cet impératif à ceux qui aspirent à réguler, encadrer, organiser, (gouverner ?) contre toute logique propre à cet écosystème qu’est le web, une toile bouillonante qui bouscule plus qu’il ne parait nos sociétés. Réseaucratie révélée ?

“Nous sommes tous des pirates” crièrent les internautes français face à la coupable Hadopi, brandissant drapeaux noirs et esprit de piraterie (une pitraterie qui renvoie à ces rebelles sans patrie qui annonçaient par leur drapeau qu’ils étaient prêt à en découdre jusqu’à la mort avec leurs ennemis) et face au déni de présomption d’innocence ou encore aux atteintes aux libertés fondamentales, chaque jour plus nombreuses.

Noam Chomsky – anarchiste contemporain et brillant esprit s’il en est – le dit à sa manière : il s’agit de “lutter contre ces nouvelles limites à la liberté, sans cesse mises à jour”. Il s’agit donc (Chomsky toujours) “d’identifier les structures coercitives, autoritaires et hiérarchiques de toutes sortes pour les examiner et mettre à l’épreuve leur légitimité”. Légitimité du pouvoir. Le mot est lancé…

Cela plaira aux internautes qui citent régulièrement Godwin (pour le “point” de son éponyme Mike), c’est en 1793, sous sa plume, que né le terme d’anarchistes (cf. Enquiry Concerning Political Justice). Plus tard, en 1922 “Umanità Nova” précise “nous voulons détruire le système qui rend possible le vol et le capitalisme”, en écho, intemporel, à Proudhom qui arrangait “la propriété c’est le vol”, sentence qu’il articulait avec ” Dieu c’est le mal”. L’excès révélateur de vérité ?

Suivant les conseils de Libertad (qui avait, cela ne s’invente pas, les deux jambes tronquées) nous mettons en pratique cet adage : “fais ta révolution toi-même”. Nous fomentons notre propre insurrection. Sans ignorer notre histoire commune. Internet est mère d’une anarchie renouvelée, endémique, hyperbolique, irrépressible.

De l’humanisation et de Bakounine.

Le Monsieur suscité part d’un postulat explicite : l’humanisation progressive de l’espèce est rendue possible par l’exercice de la raison qui découvre peu à peu les lois de la nature, fonde et rend possible la liberté, toujours plus grande (les spécialistes exigeants me pardonneront la raccourci utilitariste).

Ce qui anime Bakounine, est une idée que peu disqualifieront ici : à l’inverse du modèle dominant de démocratie représentative, l’organisation devrait se faire de bas en haut (bottom-up) par démocratie directe, les individus se fédérant librement. Des fédérations d’individus aux communes – celle de Paris fut un exemple remarquable à ce propos – des communes aux provinces, des provinces aux nations, de celles-ci aux nations-unies et à l’Europe (…) ce n’est pas les strates du millefeuille que redécoupent ceux qui mettent l’humain et son épanouissement au coeur de leur réflexion, mais un renversement de la fluence dans cet écosystème d’interdépendance et de complexité croissante : “bottom-up”, on vous dit !

Tout autre chemin tend à l’oligarchie et à la servilité, quand ce n’est pas directement à la dictature ou toute autre forme de fascisme. Ceux qui en doutent reliront leur manuels d’histoire…

De la solidarité sociale et des Hommes Libres.

Vous avez aimé la sécurité sociale, pleuré sa faillite, dénoncé son abandon ? alors battez vous pour la solidarité sociale. C’est elle et elle seule qui permet la liberté. Egalité et fraternité ne font que s’articuler à partir de celle-ci, l’une permettant l’autre, et ainsi de suite (un certain béarnais de nos contemporains n’écrit pas autre chose dans son dernier opus, soit dit en passant). “la loi naturelle au sein des espèces est avant tout une loi d’entraide et de coopération” (Kropotkine, revisitant Darwin).

Kropotkine va plus loin : “plus il y a autour de moi d’hommes libres, plus grande est ma liberté”, dit peu ou prou l’anarcho communiste et scientifique qui fut Prince à sa naissance, arrivé à l’anarchisme via les “horlogers libertaires du Jura” (lire : Ethique, œuvre inachevée parue en 1922, un an après sa mort). Thierry Crouzet – qui lui est bien vivant – rajoutera que ce monde de complexité et d’interdépendance croissante nous invite à rebattre les cartes. Ce auquel je “plussois”.

Je rajouterai à cette approche celle d’Henry David Thoreau qui théorisa mieux que nombre de ses successeurs la désobéissance civile. Lui était un pacifiste féroce. D’autres auront l’action directe plus violente ; une action directe inséparable de l’engagement anar à travers les ages. Debord, enfin, explique combien la “société du spectacle” (1967) saura tirer profit de ces penchants pour conditionner représentation et perception du réel afin de plonger dans la naphtaline les sursauts essentiels jusqu’ici tués dans l’œuf par fabrication de consentement des masses, plus systématiquement encore que par toute autre forme d’endoctrinements. L’omniprésidence actuelle en joue puissamment (propagande, persuasion, accélérations, glissements sémantiques…). Tarnac pourrait en être une fable efficace.

Elections, Pièges à Cons ?

Octave Mirbeau, comme plus tard les situationnistes (Debord toujours et “l’imagination au pouvoir”) ont un sens de la formule qui n’a rien à envier aux fabricants de slogans et autre publicitaires que tous ici reconnaîtrons aisément sans que l’on ait à jouer au “name dropping”.

Je suis embarrassé avec cette sentence de Mirbeau et me sens plus proche d’un Chomsky pointant du doigt de “vastes institutions de tyrannies privées”  qui échappent à tout système ou contrôle démocratique (Naomi Klein a beaucoup travaillé ces notions également et Obama de se confronter à ce jour au poids de ces lobbys). A ce titre, si je dénonce vivement l’élection d’un roi républicain au suffrage universel direct qui ressemble d’avantage à un championnat national quinquennal de promesses, je ne renie pas tout de l’approche de Keynes (à relire) voir – cela en étonnera plus d’un – d’Adam Smith, dont les livres d’histoires n’auront retenus que la dévastatrice influence destructrice de services publiques et de déréglementation ainsi qu’un mythe du marché “parfait” autorégulé (que je dénonce vivement) oubliant bien vite son exigence d’éthique.

Face à cela, nationaliser n’est pas la solution. Socialiser, oui. Face à cela, le renoncement politique n’est pas une option. Face aux inéquités croissantes, seul le combat se justifie. En y mettant les mots justes. En dénonçant les maux iniques. En sachant rire et réinventer ludicité et lien social. En sachant s’offusquer, se rebeller… Et raison garder.

Le nihilisme n’est pas et ne sera jamais une solution. L’humour anglais nous fournit à ce propos cette sentence : “face à toute les solutions, l’administration propose des problèmes”. Faut-il s’y résoudre ? Cette même fulgurance toute britannique ajoute également qu’Internet “propose plus de solutions qu’il n’y a de questions”. Réfléchissons-y sagement. Il y a là la trame de lendemains plus humains. Bio-logiques et technophiles, à n’en pas douter.

Nous n’irons pas pour vous mourir au front !

Soyons, à l’instar de Duchamp, des “anartistes”. Ou plus ambitieux et jusque là inédit, des “anarnautes”. L’anarchisme a toujours voulu qu’on porte le regard vers l’avenir et vers l’inconnu. Qu’attendons-nous ? L’efficacité n’est pas l’ennemie de l’équité.  Et rien plus qu’équité, loyauté et raison ne sont de nos jours mis à mal par des pouvoirs illégitimes ; ceux d’une économie financiarisée plus encore que quelque politique dévoyée que ce soit.

Le renoncement tue. A consommer, donc, avec modération… Et imagination. Tenez-le vous pour dit : l’anarnaute n’est pas de gauche, alter, ailleurs, ethonocentré, lobotomisé, caduque et encore moins docile. Il se pourrait même qu’ils soient adroit, tétu et armé. On l’a déjà vu ici, Internet est une arme. La lucha sigue…

Ce n’est pas la fin de l’histoire qui se poursuit, c’est la renaissance que l’on persécute. C’est la résistance féconde qui est à réinventer.

Nous n’irons pas pour vous mourir au front. Nous y vivons. Critiques. Constructifs. Pédagogues. Autonomes. Authentiques. Émancipés. Dignes. Et en nombre. Dans le seul culte de la justice, de la vérité et du respect humain (par opposition au culte divin). Nul n’imposera durablement l’ignorance, pas même par l’éducation ou quelque superstition que ce soit.

La science, l’histoire, la raison et l’espérance nous guident.

A l’instar de Normand Baillargeon, c’est à Chomsky que je laisserais ici le mot de la fin : “Je veux croire que les êtres humains ont un instinct de liberté, qu’ils souhaitent véritablement avoir le contrôle de leurs affaires ; qu’ils ne veulent être ni bousculés ni opprimés (…) et qu’ils aspirent à rien tant que de s’engager dans des activités qui ont du sens (…). Il s’agit essentiellement d’un espoir au nom duquel on peut penser que, si les structures sociales se transforment suffisamment, ces aspects de la nature humaine auraient la possibilité de se manifester”.

Le son des mots ne peuvent effacer les leçons des choses.

Que l’on ne s’y méprenne pas, ce que beaucoup, dont le valeureux Paul Jorion dont je suis un fidèle lecteur nomment “anarcho-capitalisme” est un leurre, issu de l’Ecole de Chicago (Lira N. Klein, la Stratégie du Choc) et qui n’a absolument rien à voir avec la remise en cause des autorités illégitimes que défend l’anarchisme. A ce propos, et puisque l’on parle idées reçues, chaos et nihilisme, Marmol insistait sur “un anarchisme sans qualificatif”, que Chomsky définie globalement comme “cette tendance, présente dans l’histoire de la pensée et de l’agir humain, qui nous incite à vouloir identifier les structures coercitives, autoritaires et hiérarchiques de toutes sortes pour les examiner et les mettre à l’épreuve de leur légitimité”. Voilà, si vous voulez m’enfermer dans une case, ce sera donc celle-ci, définie comme ci-avant… Et à ce titre peu éloignée de l’esprit de la révolution française (et donc de la déclaration des droits de l’homme) ou de celle, bien plus contemporaine, des objecteurs de croissances, avec ou sans nez rouge /-)

_

La conversation se prolonge chez Thierry Crouzet
Article initalement publié sur Nuesblog

]]>
http://owni.fr/2009/08/17/linsurrection-des-anarsnautes-ou-le-sursaut-de-la-raison/feed/ 4